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ANATOMIE D’UNE CHUTE
Formidable portrait d’une écrivaine que tout accuse de la mort de son mari, Anatomie d’une chute n’est surtout pas un banal film de procès mais le déroulement magnifique d’une page de littérature à la Stefan Sweig. L’un des chocs cinématographiques de cette 76e édition cannoise très justement récompensé par la Palme d’Or.
Cela commence par un confus entretien entre une écrivaine et une étudiante en lettres qui ne parvient pas à poser les bonnes questions. Les détails ont leur importance, comme le verre de vin, l’enfant à l’étage qui va promener son chien, et la musique assourdissante qui empêche toute forme de communication. Puis la chute mortelle a lieu, avec ces étranges traînées de sang le long d’un mur qui n’empêcheront pas les doutes de peser sur elle. Anatomie d’une chute est un film écrit comme un livre. La caméra qui filme de si près les visages raconte la fabrique d’un roman, comme si le spectateur était entraîné dans la psychologie monstrueuse de ses personnages. Car il y a de la monstruosité dans ce film. À commencer par cette femme, qui parle si mal le français, et semble si distante avec le décès de son mari où tout l’accuse. L’émotion ne survient jamais, ou à peine, laissant traîner en permanence le doute sur sa culpabilité.
Justine Triet a l’intelligence de mettre le spectateur quasiment à la place des jurés qui devront porter une appréciation sur ce crime ou ce suicide. En réalité, on pourrait résumer ce long-métrage à une séquence de procès, mais Anatomie d’une chute est bien plus que cela. Il s’agit surtout du portrait d’une écrivaine dont la vision du monde et les évènements de sa vie servent à nourrir ses romans. Il y a chez elle une sorte de violence enfouie mais qui ne la rend jamais détestable. L’écriture du scénario use de multiples artifices pour semer le trouble dans la perception d’une réalité passée d’un homme qui aurait pu se jeter par une fenêtre. On pense à des grands portraits de femmes dans la littérature, tant la réalisatrice a travaillé le personnage.
L’intérêt du film ne se résume pas au personnage central de Sandra. Tous les protagonistes qui l’entourent prennent une part tout à fait importante dans le récit, qu’il s’agisse du jeune enfant aveugle, de l’avocat, du procureur et même de la présidente du tribunal. Ils servent la mécanique diabolique de l’univers de la justice où un mot de trop, une approximation peuvent devenir un drame. La puissance évocatrice de la narration permet de révéler tous les enjeux et les tourments des personnages qui gravitent autour de cette femme. Certains la voudraient coupables, par colère, jalousie ou haine, quand d’autres lui pardonnent, laissant supposer qu’elle-même était victime des violences de son conjoint ; et enfin d’autres la désirent innocentes, tout simplement parce que la justice doit être raisonnable.
Anatomie d’une chute déroule ainsi une multiplicité de personnages à l’intérieur de celui de Sandra. La comédienne passe en effet par des multiples émotions, des postures plurielles qui la rendent à chaque fois plus impénétrable et complexe. Et pourtant, miraculeusement, on finit par éprouver une forme d’empathie pour elle, tout le contraire du procureur par exemple qui ne fait que son travail au service de la vérité. Il faut saluer la maîtrise parfaite dont fait preuve Justine Triet dans son film. Elle est parvenue à un acte de création magique : faire de son film une immense page de littérature.