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ANIMALIA

En apparence, il y a le récit fantastique qui ne donne d’ailleurs pas toutes les clés de compréhension. Surtout Animalia c’est la critique d’un pays, le Maroc, qui étouffe sous les inégalités sociales et financières, rattrapé par le conformisme moral et religieux.

 

Sofia Alaoui est encore une toute jeune réalisatrice qui s’était fait remarquer pour ses courts-métrages. Elle plonge son récit dans un pays, le Maroc, qui côtoie, sans aucune once de culpabilité, le luxe des palais bourgeois et la misère totale des familles rurales, particulièrement berbères. En quelque sorte, cette victoire de l’animalité sur l’humanité croyante, toute entière dévouée à un Dieu qui par bien des aspects sert de caution à l’individualisme et la course sans fin pour toujours plus d’argent, raconte sans fard, l’état d’un pays qui ne parvient plus à concilier la pauvreté endémique et la croissance sans limite de quelques minorités bien-pensantes.

 

Animalia s’ouvre sur le spectacle d’une demeure qui étouffe sous l’argent et le luxe. Itto vit dans cet univers malgré elle. Elle ne parvient pas vraiment à s’extraire de ses origines populaires, préférant la compagnie des servantes à celle de sa nouvelle famille hautaine, jusqu’au jour où elle se retrouve seule dans l’immense demeure qui l’a adoptée. Mais le plaisir est de courte durée, car la planète entière est emparée par une catastrophe surnaturelle étrange où les animaux semblent prendre peu à peu le pouvoir sur l’humanité, comme s’ils avaient été eux-mêmes envahis par une puissance extérieure, suffisamment forte pour mettre à mal l’idée même de Dieu. Le premier long-métrage de Sofia Alaoui est à la fois complexe et simple. Simple car il peut se regarder comme une fable fantastique et complexe car derrière l’horreur apparente des évènements, se cache surtout la terreur d’une jeune femme, embourgeoisée, ramenée malgré elle à sa condition première d’enfant pauvre.

 

Sofia Alaoui mêle habilement, non sans courage, la satire sociale, le conte catastrophiste et le genre fantastique. On assiste en réalité à la transformation philosophique d’une jeune femme qui s’était laissée aveugler par la facilité de l’argent et du pouvoir, tout en ressentant qu’elle ne serait jamais à la hauteur du statut social nouveau qui était le sien. La transformation va jusqu’à la remise en cause de sa croyance religieuse, la confrontant à ce qui a été le ferment de son enfance : un rapport de domination au monde, la poussant à toutes les débrouillardises pour espérer une forme d’émancipation culturelle. La mise en scène du long-métrage est assurément stupéfiante. Le constat que parfois a narration ne délivre pas toutes les clés de compréhension n’empêche pas l’admiration dans un scénario et une réalisation courageuse qui n’a pas peur de braver les interdits moraux de la société marocaine aux prises, comme d’autres pays du monde, à l’aveuglement religieux.

 

Animalia demeure une des grandes surprises de l’été 2023. C’est un cinéma original qui détonne, n’hésitant pas à prendre le risque de la dénonciation, voire même de la provocation, grâce à une jeune réalisatrice, courageuse et authentique, qui fait de son art, une arme pour la libération des consciences.

(Laurent Cambon, Avoir à Lire, publié le 15/08/2023)