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LE CHÂTEAU SOLITAIRE DANS LE MIROIR

On ne peut pas retirer à Keiichi Hara sa constance – il met les pieds dans le plat. Plus de dix ans après Colorful, il replace le mal-être – et ses conséquences funestes, décrochage scolaire, solitude, suicide – des jeunes japonais au centre de la conversation avec son nouveau film, adaptation du roman à succès de Mizuki Tsujimura.

 

Hara, pas particulièrement un joyeux drille, a toujours cultivé des personnages à son image – stoïques, en contraste avec leur environnement, et aux récits un peu amers. Puis, en 2019, il y a eu Wonderland – un isekai ultra soporifique et désincarné qui m’a réellement poussé à me demander s’il aimait ce qu’il faisait. La suite était un peu redoutée, et tout va mieux – Le Château Solitaire dans le Miroir est un film ludique et concerné par son sujet. Il n’a qu’un gros souci; il fait avant tout transparaître les qualités du livre.

 

Kokoro ne peut plus aller à l’école. Après plus d’un lustre d’oeuvres souvent réussies sur l’ijime, on devine immédiatement pourquoi. Un miroir apparaît dans sa chambre, et l’emmène presto dans un château isolé où elle rencontrera six autres jeunes de son âge, qui ont tous le même problème de décrochage. Dans ce Secret Story baroque, ils sont accueillis par « la reine louve », qui leur déroule les règles – Ils peuvent venir dans ce sanctuaire pour s’amuser entre eux et oublier leurs peines, mais sous deux conditions, que voici.

 

Ils doivent tous rentrer chez eux avant une certaine heure – si un seul d’entre eux dépasse une certaine heure de sortie, tous ceux qui seront venus ce jour-là se feront boulotter par un loup. Secundo, ils ont une année scolaire pour résoudre une énigme et trouver une clé qui leur accordera un vœu. Mais il aura un prix; les souvenirs de ces moments passés ensemble. C’est donc parti pour une année qui, à force d’allers-retours dans cet espace éthéré, montrera les peines et espoirs de ce groupe mis au ban.

 

Le Château est un film qui dénote par de grands contrastes, dont Hara assure la paternité volontaire (rendez-vous demain pour une interview plus en longueur avec l’artiste) – le film est étonnamment statique. En grande majorité en plan fixe, on frise la suite de diapos quand les sept personnages vont se présenter les uns après les autres, aussi mécaniquement que possible – toute la diégèse est déroulée dans un champ-contrechamp hyper factuel. Sauf quand, sans crier gare, le métrage se réveille et envoie tout, dans un dispositif éclatant et prescriptif. Parfois, c’est tonalement hasardeux, comme quand une scène d’agression sexuelle démarre devant un score de guitare rock and roll.

 

Mais quelque chose marche dans cette proposition qui ne cesse de nous rappeller que l’important n’est pas forcément ce qu’on a sous le pif – le dispositif de ce groupe de personnages, ayant quelque chose de bien précis en commun – mais dont l’incroyable incapacité à braver le superficiel dans leurs échanges va mener à un twist au paiement touchant. D’abord film timoré et en sous-régime, on en émerge plus ému et convaincu que pendant. Le mystère central, assez ludique, ressort gagnant de l’équation. Si l’on se retourne, Miss Hokusai est encore un moment de grâce, mais c’est bien mieux.

 

Belle publicité pour son million-seller, Le Château Solitaire est doué d’un étrange esprit d’escalier – son dispositif paye un peu tardivement, mais donne une meilleure impression que sa première moitié, sous-animée et en sous-régime. Et soudainement, le moteur s’emballe et les pièces s’imbriquent, quitte à en faire un peu trop. Un film averti et ludique, qui nous montre avec pertinence que la forme ne compte pas toujours.

(Benjamin Benoît, IGN France, publié le 05/09/2023)