Un film comme une révérence testamentaire au talent immense de Deneuve et de Binoche, dans un Paris lunaire, dandy et automnal.
Le film aurait pu s’appeler Les mensonges ou La vérité tant il joue sur les effets de réalité, qui s’interposent entre un comédien réécrivant son existence à travers les rôles qu’il incarne et la vie qu’il rêverait pour lui-même. Le propos est d’autant plus fascinant qu’il est porté par Catherine Deneuve, plus grave et radieuse que jamais, qui incarne une très grande comédienne, dont on suppose les ravages de l’âge sur son état cognitif. S’agit-il d’un récit testamentaire ? C’est toute la question qui, posée par le long-métrage du japonais Hirokazu Kore-eda, regarde cette grande dame du cinéma français à travers son œil exotique. Pendant ces presque deux heures, le spectateur se demande hagard si Catherine joue à la Deneuve, dans ce qu’il y peut avoir de pire en matière de starlette vieillissante, ou si Catherine Deneuve adopte un ton délibérément ironique sur la profession de acteurs qu’elle connaît si bien. Toujours est-il que le film s’avère une profonde réussite dans cette façon de contourner la réalité en permanence, à travers un jeu de dupes dont seuls les acteurs détiennent les clés.
Personne n’oserait filmer Deneuve de dos. Et pourtant, Kore-eda le fait avec délicatesse et grâce. Il saisit une actrice tourmentée par les ravages de l’âge et de l’alcool. Il filme une femme qui confond savamment réalité et jeu sur la réalité. Deneuve esquisse en permanence des pas de côté pour rendre sa vie plus légère, ou disons moins grave. Les autres personnages tournent autour d’elle, avec en point d’orgue, une Juliette Binoche qui semble littéralement touchée par la figure même de la comédienne Deneuve. Toutes les deux incarnent un rapport mère-fille, qui ne pourrait exister ailleurs que dans un film. Elles semblent deux étoiles désemparées, foudroyées de solitude, cherchant dans la provocation à se trouver un espace d’amour et de compréhension. Or, magiquement, malgré leur rôle plutôt ingrat, le cinéaste parvient à faire transparaître la puissance maternelle des deux femmes, en particulier par l’entremise de cette toute jeune comédienne, Clémentine Grenier qui irradie l’écran du haut de ses sept ans, peut-être.
La vérité choisit de dérouler son récit dans un Paris presque féérique. La plupart des scènes se situent dans une villa – presque un château – ceinte d’un jardin immense, quasiment en face de la Maison de la Santé. Deux mondes s’opposent : celui des prisonniers qui purgent leur peine, et celui de cette star de cinéma qui croule sous l’argent et la notoriété. Mais finalement, ces univers se rencontrent dans le sentiment douloureux de la solitude, tel que le montre cette scène où l’on voit Deneuve promener son chien, scène qui se répète jusqu’au générique final, où l’on se demande clairement s’il ne s’agit pas de la vraie vie de la comédienne. La maison est filmée en automne et on pense devant ces feuillages roussis par l’approche de l’hiver, à la beauté des arbres fleuris que le cinéaste donnait à voir dans ce qui est peut-être son meilleur film Notre petite sœur. Cette manière d’appréhender Paris à travers un jardin rend le long métrage plus japonais que jamais, passant du réalisme social à la française, à la poésie des estampes orientales.
Hirokazu Kore-eda dissèque avec justesse les ruptures au sein des familles. The third murder constituait presque une exception à son cinéma de l’intimité familiale. La famille qu’il choisit ici n’a rien à voir avec la très grande majorité des personnes qui composent le monde. Toutefois, les non-dits, mensonges et malentendus qui peuvent détruire des lignées familiales tout entières, demeurent les mêmes. Le cinéaste filme avec délicatesse le temps qui s’étiole avec la maladie qui survient, la peur de la mort, l’esprit qui perd la raison. En même temps, son regard ne condamne pas. Il évoque le pardon, même si naturellement, l’aveu que fait la mère à sa fille est constamment entaché par le doute : peut-être s’agit-il encore d’un énième jeu de l’actrice. Le spectateur s’égare avec les personnages dans ce récit où rien ne semble vrai, à la façon du célèbre adage de Cocteau : Je suis un mensonge qui dit toujours la vérité.
(Laurent Cambon, Avoir à Lire, publié le 23/12/2019)
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