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LA VOIE ROYALE

Les premières images nous plongent au cœur d’une exploitation agricole où tout le monde travaille avec ardeur… Les parents, le fils aîné et la fille qui, au grand dam de son frère, doit momentanément s’absenter pour suivre ses cours. Non, il ne s’agit pas d’un énième film destiné à nous sensibiliser aux difficultés des agriculteurs, même si en filigrane se dessine l’opposition entre le dur labeur d’une classe sociale abandonnée et la frivolité des classes supérieures.
Après le polar Complices en 2010 et le thriller psychologique Moka en 2016, le réalisateur suisse Frédéric Mermoud jette son dévolu sur la comédie sociale. Comme lors de ses précédents long-métrages, il focalise son attention sur un personnage central, clé de voûte de son scénario. Ici, Suzanne Jouannet, vue en 2021 dans Les choses humaines d’Yvan Attal, prête la fraîcheur de son joli minois à Sophie, colonne vertébrale de ce récit d’apprentissage méthodiquement construit pour décrire, entre romanesque et réalisme, ce carrefour existentiel où se décident les choix déterminants de toute une vie.

 

Sans aucun doute, Sophie a un don particulier pour les mathématiques. Mais dans sa famille modeste, plus habituée à baisser la tête qu’à la relever, personne ne songe à en tirer une gloire quelconque. Il faudra donc l’insistance de son professeur pour que ses parents, (Marilyne Canto et Antoine Chappey), des personnes bienveillantes qui ne veulent que le meilleur pour leur fille, comprennent l’intérêt pour elle d’intégrer un lycée de prestige à Lyon. Ils sont pourtant loin d’imaginer que ses capacités intellectuelles ne lui suffiront pas pour affronter un monde étranger et hostile. Seuls sa ténacité et son sens de combat lui permettront de survivre. Dans cet univers uniquement régi par les lois d’élèves bien nés, où le machisme et la domination règnent en maîtres, Sophie se sent illégitime et bride dans un premier temps ses projets. Jusqu’à ce qu’entre échecs, humiliations et rencontres, elle refuse de se laisser happer par cette course infernale à l’excellence, dans le seul but de rejoindre une élite déconnectée, mue par une soif de pouvoir inextinguible.

 

Peu de filles sont élues à l’accession de ces prépas scientifiques. L’amitié qu’elle noue avec Diane (Marie Colomb), une jeune fille issue d’une famille aisée mais néanmoins si lucide sur la perversité de la formation des élites qu’elle la quittera, fait naître chez elle un éveil politique auquel elle n’avait jamais songé. Bien plus, le souvenir du sort réservé à ses parents, ces invisibles méprisés par les hautes sphères et l’attitude plus solidaire qu’il n’y paraît de sa professeur de physique (interprétée avec maestria par une Maud Wyler toute en subtilité), l’incitent à rejeter ce système féodal et à imaginer de nouveaux choix politiques, aptes à remettre la démocratie à sa juste place.
Soutenu par une pléiade de jeunes comédiens talentueux (dont l’attachant duo Jouannet/Colomb) dont l’humour et la légèreté évitent l’écueil de la caricature, Mermoud dénonce avec plus de malice que d’acrimonie la mainmise d’une élite quasi monarchique transmise de père en fils et surtout bien peu encline à laisser passer le moindre élément extérieur à travers les interstices de son monde protégé. La narration prend le temps de poser les bases de son histoire pour ensuite caracoler avec aisance vers les rebondissements d’un polar politique auquel il est facile de s’identifier. Enfin, si la mise en scène demeure sans surprise, elle nous livre quelques moments remarquables, à l’instar de cette magnifique scène d’oral où le cinéaste Matthieu Rozé se révèle être un comédien hors pair.

 

Après avoir savouré le plaisir de cette aventure qui fait le choix de l’innovation plutôt que celui de la résignation, il ne reste plus qu’à rêver au monde de demain revu et corrigé par l’engagement de Sophie et de cette génération bien décidée à renouer avec les valeurs qui nous rassemblent. Même s’il ne s’agit que d’une fiction, La voie royale envoie un souffle d’optimisme à partager avec le plus grand nombre.

(Claudine Levanneur, Avoir à Lire, publié le 08/08/2023)