D’Albert Dupontel, on connaît, attend et apprécie la créativité débridée, l’énergie débordante, le sens du spectacle et l’amour du cinéma, qui jaillit de chacune de ses mises en scène très fouillées. Dans Second tour, son inventivité s’observe toujours (dans des axes de caméra judicieux ou d’astucieux partis-pris de montage), mais sa dynamique change et laisse la place à davantage de douceur pour laisser entendre une inquiétude profonde sur la marche du monde. Second tour, cri d’alarme aux accents mélancoliques ?
À travers son personnage de candidat à la présidentielle qu’il interprète, le réalisateur de 9 mois ferme ou Adieu les cons dresse le portrait de la sphère politique française où l’humanisme n’a plus de prise, où même les cœurs les plus vaillants se retrouvent à la peine. Face à ce marasme, il donne à voir le monde autour, à commencer par le microcosme journalistique chaotique qu’incarnent avec bonheur Cécile de France et Nicolas Marié – ce dernier se surpassant comme jamais (Albert Dupontel lui demanderait de décrocher la lune qu’on imagine volontiers ce génial comédien s’y employer). En marge de cette agitation, un autre personnage, dont on ne dévoilera rien ici, vit en pleine nature et incarne à lui seul une autre possibilité d’envisager l’existence. Rarement avait-on senti Albert Dupontel aussi tourmenté. Dans Second tour, sa sensibilité extrême se fait sentir et émeut grandement, comme lors de ce plan aérien au lyrisme assumé qui nous fait adopter le point de vue d’un oiseau et tente littéralement de nous donner des ailes pour protéger ce qui peut encore l’être.
Le lyrisme, lui aussi, fait le liant du nouveau film de Ken Loach. En ancrant son action dans le pub d’une communauté minière déliquescente où débarquent des réfugiés syriens, le réalisateur britannique et son fidèle scénariste Paul Laverty font de The Old Oak un film hautement sentimental. Qu’il est bon d’y verser toutes les larmes de son corps ! Toute l’humanité du duo d’auteur-réalisateur se raconte dans cette histoire d’entraide portée à son point d’incandescence, quitte à flirter avec l’invraisemblable – hélas. Il y a là quelque chose qui relève d’un chant d’espérance doublé d’une prière, comme si Laverty et Loach hurlaient leur croyance dans les pouvoirs du cinéma à infléchir le réel et, en l’occurrence, à donner foi dans la solidarité entre les êtres. Leur personnage de TJ Ballantyne, qu’interprète avec une bonhommie contagieuse Dave Turner, est un parangon de bonté. Certains trouveront trop épaisses les ficelles qui cousent ce récit ; mais d’autres, comme la signataire de ces lignes, seront sensibles au flot d’humanisme qui irrigue ses veines et va crescendo à la manière d’une crue. Comme si Laverty et Loach accentuaient la charge émotionnelle avec le secret espoir qu’elle transperce les écrans et se déverse dans toutes les communautés où le vivre-ensemble ne peut s’affranchir d’empathie et de mains tendues.
(Anne-Claire Cieutat, Bande a part, publié le 25/10/2023)