VOYAGE À GAZA
Un documentaire nécessaire pour comprendre les bouleversements politiques et sociaux de ce territoire meurtri.
Un titre qui sonne presque comme une provocation tant l’évocation de cette ville, dans l’imaginaire collectif, rime peu avec le rêve et le farniente liés à une découverte touristique, même si le regard posé ici date de 2018 et ne concerne pas les événements de 2024.
Le film s’ouvre sur les images des obsèques de Yasser Mortaja, un jeune photographe, tué par l’armée israélienne, alors qu’il couvrait une manifestation contre le blocus israélien. Une dénonciation publique qui permet de parler à la fois de la situation géopolitique mais aussi de donner voix à ceux dont on ne voit jamais le visage et dont on ne connaît pas le nom.
À l’heure où les journaux télévisés témoignent de l’anéantissement de cette ville-martyr et du territoire qui l’entoure, bien peu prennent le temps de revenir sur son histoire et ses richesses. Piero Usberti, dès l’adolescence, participe à des discussions et à des rencontres politiques liées à Gaza. Un peu plus tard, son père, professeur à l’université de Sienne (Italie), y passe plusieurs jours, dans le cadre d’échange avec deux universités de Gaza. Il lui raconte la vie quotidienne, la lumière et le vent. Suivra une rencontre avec un étudiant palestinien, puis avec la créatrice du centre d’échanges culturels italo-palestinien. Après avoir réalisé un premier documentaire Un altro giorno, consacré à la ville de Turin, le jeune réalisateur souhaite à nouveau s’atteler à la découverte d’une ville. Gaza aura sa préférence. Et pour la raconter, il imagine une série de rencontres et d’entretiens avec des jeunes gens de son âge, pour comprendre leur façon de vivre, aspirations, espoirs, pour en rendre compte.
Tout en déclinant en fil rouge les vicissitudes de cette partie du monde depuis la fin du mandat britannique sur la Palestine et la création de l’État d’Israël jusqu’à « la marche du retour », vaste mouvement de protestation qui fit quelques morts (dont le photographe Yasser Mortaja) et de nombreux blessés en mars 2018, le réalisateur s’arrête sur toute la beauté du lieu : les terres fertiles plantées d’oliviers, la mer sur laquelle le soleil se couche, les plages, l’étendue des champs de fraises. Des territoires situés sur le littoral méditerranéen, coincés entre l’Égypte et Israël, surveillés en permanence par des drones et entourés d’une clôture de haute sécurité qui forme l’une des frontières les plus infranchissables du monde.
Car si les infrastructures routières, les enfants sur les manèges, la présence de magasins laissent planer l’illusion d’une vie ordinaire, l’économie, contrôlée par Israël, est exsangue, le travail rare (sans aucune possibilité de sortir pour en trouver ailleurs), l’eau et l’électricité restreintes. Une voix off, délibérément partisane, nous emmène à la rencontre de Sara, humanitaire aujourd’hui réfugiée à Milan, Mohmad, grand collectionneur de livres, et Jumana, devenue journaliste, et de quelques autres, tous tiraillés entre révolte d’être injustement emprisonnés, refus des traditions et rejet du Hamas. Pourtant, et c’est la toute la force du texte, point de plaintes. Juste un amour/haine pour ce pays si vigoureux et si plein de ressources qui est le leur sans vraiment leur appartenir. Malgré l’enfermement permanent, derrière la lassitude et les rêves d’évasion subsistent les rires, les aspirations universelles et surtout une force de résistance exceptionnelle.
Voyage à Gaza ne se contente pas d’être un projet cinématographique abouti. Il a l’immense mérite de figer dans le temps le bourdonnement d’une ville, aujourd’hui réduite à néant.