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L’ATTACHEMENT

Présenté en avant-première à la Mostra de Venise 2024, dans la section Orizzonti, et projeté lors de la cérémonie d’ouverture de la 37ᵉ édition du Festival Premiers Plans d’Angers, L’Attachement de Carine Tardieu brille par sa subtilité et sa capacité à entremêler brillamment drame et comédie.

 

Difficile à définir, intangible, insaisissable, la délicatesse au cinéma est rare et précieuse. Elle est au cœur de L’Attachement, et en fait le sel. Carine Tardieu tisse avec finesse les fils ténus de l’existence et parvient à relâcher, sans les défaire complètement et pour notre plus grand bonheur, les nœuds complexes des émotions humaines.

 

Le scénario, impeccable, tendu, aérien, est adapté du roman L’Intimité d’Alice Ferney : l’histoire de Sandra (Valeria Bruni Tedeschi), quinqua célibattante et retranchée, libraire et féministe convaincue, qui voit sa routine bien huilée bouleversée lorsqu’elle se retrouve, bien malgré elle, impliquée dans la vie de son voisin de palier, Alex (Pio Marmaï), et de son fils Elliott (César Botti).

 

En une heure quarante cinq montre en main, Carine Tardieu parvient à explorer avec une authenticité désarmante les liens humains. La singularité de sa voix réside certainement dans son approche narrative et visuelle, si personnelle, qui lui permet de capturer l’essence des relations humaines sans artifice. Ses dialogues, réalistes sans jamais être pauvres, révèlent ou dissimulent habilement. Son autre talent incontestable (et rare lui aussi) est la direction d’acteurs. Dans Les Jeunes Amants (2022), elle nous offrait avec Fanny Ardant et Melvil Poupaud un couple improbable et une alchimie palpable. Dans L’Attachement, Carine Tardieu parvient à révéler chez ses interprètes des nuances insoupçonnées et à extraire de leurs personnages la substantifique moelle de son récit. Valeria Bruni-Tedeschi livre une performance magistrale, explorant des territoires de jeu rarement atteints dans sa carrière, très loin de ses rôles habituels. Pio Marmaï, dont on connaît pourtant la vaste palette et l’intensité, sidère par la justesse de ses émotions.

 

Vimala Pons et Raphaël Quenard distillent eux aussi avec profondeur et nuance leurs personnages respectifs, pourtant très secondaires. Enfin, il y a cet enfant de six ans, effarant, merveilleux, transcendant, drôle et décalé… Le dernier Elliott à nous avoir  »catatonisés » comme le fait César Botti était Henry Thomas, en 1982, dans E.T.Et quand on sait qu’il s’agit du film fondateur de la réalisatrice, on comprend mieux ce drôle de personnage. Lui aussi se sentait seul. Lui aussi devait capturer et apprivoiser une créature perdue, loin de chez elle et d’elle-même. Comment ce garçon de six ans parvient à exprimer autant de vérité et de grâce reste l’un merveilleux mystères de ce film.

 

Carine Tardieu a l’art de la suggestion. Elle disperse adroitement les sous-entendus, emploie les ellipses avec audace. Elle manie intelligence et sensibilité sans jamais brusquer nos cœurs devenus aussi fragiles qu’endurcis par une époque brusque et brutale. En tissant ainsi des liens invisibles mais indélébiles, sans jamais sombrer dans l’artifice, elle nous invite à ressentir plutôt qu’à simplement voir, et à nous attacher aux personnages comme ils s’attachent les uns aux autres. Son regard profondément humain et sa maîtrise du non-dit nous rappellent combien la retenue mise au service de l’émotion, de la forme et du fond, peut s’avérer puissante. Saisissant d’humanité, L’Attachement nous rend plus tendres, plus solides. Et plus lumineux. Un shoot de vitamine D dans l’hiver glacial de l’existence, en somme.

 

(Mary Noëlle Dana, Bande à Part, publié le 18/02/2025)

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