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COMME LE FEU
Petit théâtre de la cruauté du monde des adultes et de la fragilité de l’adolescence, Comme le feu est d’une franche réussite. Un film qui vous saisit le corps et le cœur.
Ça pourrait être des vacances merveilleuses, d’autant que Jeff et Aliocha vont faire la connaissance d’un brillant cinéaste, couronné d’un Oscar. L’admiration les étreint immédiatement, au milieu de ces paysages québécois aussi gigantesques que magnifiques, admiration bientôt mise à l’épreuve par l’attirance que l’adolescent éprouve à l’égard de la sœur de son ami. Philippe Lesage offre un film ample, d’une durée nécessaire pour appréhender la tragédie qui se joue entre les vacanciers, par l’entremise de cet homme, Black, aussi fascinant que manipulateur et pervers.
Comme le feu est loin d’être un film ordinaire. La première séquence s’ouvre sur le chemin qu’une voiture emprunte à travers la forêt épaisse. La scène est longue, à la manière d’une entrée en matière de Sofia Coppola, annonçant déjà le labyrinthe des passions qui va se nouer entre ces personnes, qui se détestent, s’attirent et se protègent des unes des autres tout à la fois. Le titre brûlant présage de sentiments complexes pour des adolescents qui se laissent malgré eux embarquer dans la mesquinerie et les règlements de comptes d’adultes, peu ou prou sensibles à leur fragilité. Les trois ados qui peuplent le film sont des êtres en devenir, se découvrent des sentiments amoureux, des désirs, pendant que les adultes, censés les guider, se délectent dans un jeu cruel et alcoolisé, où ils tentent de dompter leurs souvenirs et aigreurs.
Comme le feu aborde la maltraitance psychologique ou sexuelle par le biais de l’abus et de l’immaturité d’adultes peu soucieux de la vulnérabilité de leurs jeunes. En même temps, Philippe Lesage ne traite ce sujet jamais frontalement. Il inscrit son propos dans le décor plus que champêtre des forêts québécoises, avec en écho le cri des loups et les branches impénétrables des arbres. La nature pourtant si belle pourrait ressembler à un théâtre idyllique de la vie, mais cache en son sein toujours une arme pointée vers un animal sauvage ou le hurlement sournois d’un prédateur.
Les personnages adultes tournent autour de la figure centrale de Black qui entretient à leur égard une sorte de manipulation malsaine où les règlements de compte et les enjeux de pouvoir sont convoqués. La mise en scène échappe avec brio à la caricature, montrant un protagoniste tout autant puéril que profondément pervers. Ces traits de caractère du prédateur psychique ou même sexuel apparaissent dans le déroulement d’un quotidien de vacances, où chaque geste traduit l’épouvante de ses intentions.
En même temps, pour donner vie à la mécanique de la prédation, le réalisateur a besoin de victimes quasi consentantes. Seuls les adolescents tentent de se défendre de la brutalité sournoise de Black, parce que rattrapés par le miracle de l’amour. Les autres adultes qui côtoient cet homme sombre pêchent par perte de confiance en soi, ou aveuglement quasi sectaire pour leur hôte. Black devient ainsi un être complexe, dont on a du mal à identifier les intentions tant affectives que sexuelles, et qui se complaît dans l’hostilité et la cruauté. En réalité, il suffit de consulter un manuel de psychologie clinique pour se rendre compte que Philippe Lesage dresse à travers son personnage le portrait parfait du pervers narcissique.
En plus des images merveilleuses du Canada, il faut saluer la bande musicale totalement incroyable. Le film passe de l’électro au rock avec une aisance incroyable, permettant aux personnages d’accéder à un dimension supérieure. La mise en scène quasiment réduite à un seul lieu, l’interprétation des comédiens concourent à offrir un film intense et remarquablement puissant.