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ENZO

Laurent Cantet, qui s’est éteint en 2024, et Robert Campillo signent un portrait d’adolescent dont la rébellion apparente n’est que l’expression d’une profonde revendication sociale et émotionnelle.

 

Enzo est le dernier long-métrage de Laurent Cantet mais il a été réalisé par Robin Campillo. Laurent Cantet, disparu en 2024 à l’âge de 63 ans et qui avait décroché la Palme d’or 2008 pour Entre les murs« parlait depuis très longtemps » de ce projet, confiait son ami Laurent Campillo le 14 mai à la projection du film qui a ouvert la Quinzaine des cinéastes. Les deux réalisateurs ont étroitement collaboré sur ce long métrage quand Laurent Cantet a découvert le cancer qui l’a emporté. Robin Campillo avait déjà monté six de ses films et coécrit cinq dont Enzo.

 

Enzo, incarné par Eloy Pohu, a 16 ans et il a choisi d’être apprenti maçon. Il travaille sur un chantier à La Ciotat, encadré par Vlad, un jeune Ukrainien interprété par Maksym Slivinskyi. Il n’est pas très doué au point de se faire réprimander par le chef de chantier. Excédé, l’adolescent décide de quitter son poste, mais son patron préfère raccompagner le mineur chez lui.

 

On découvre alors l’environnement, pour le moins aisé, dans lequel vit le jeune homme et qui paraît décalé avec son choix professionnel. L’étonnement se lit sur le visage du chef de chantier, tout comme l’inquiétude plus tard sur le visage de Paolo, le père d’Enzo, joué par Pierfrancesco Favino. Ce dernier est particulièrement dérangé par l’orientation professionnelle de son petit dernier. Sa mère, Marion à qui Élodie Bouchez donne tendrement chair, semble plus philosophe sur la question.

 

Enzo est le portrait d’une rébellion. Celle d’un adolescent conscient que son choix de carrière est en déphasage avec ce que son père, enseignant, souhaite. D’autant qu’il a un frère qui prépare Henri IV, le prestigieux lycée parisien. Sur son chantier, le jeune homme côtoie aussi le monde, celui de l’Ukraine en guerre de Vlad duquel il se rapproche doucement. Il y a chez Enzo le courage de la jeunesse et la douceur d’un enfant, qui résiste à un père bien trop protecteur à son goût. Enzo est aussi le récit d’un éveil sensuel, des premières rencontres amoureuses et des séismes qu’elles peuvent provoquer chez un être en construction.

 

Batailler pour être tout simplement soi

La mise en scène de Robin Campillo s’attache à montrer comment Enzo se laisse tout simplement porter par ses élans, sans calcul. Sauf quand il s’agit de résister à son père. Comme dans cette scène où il prétend avoir passé la nuit à danser en boîte avec Vlad et ses collègues alors que ses 16 ans l’ont empêché d’accéder au night-club. À la place, il a contemplé un ciel somptueux, à flanc de montagne. La nonchalance d’Enzo, qui donne son rythme au film, est perturbée par les tensions provoquées par ses décisions, aussi bien dans sa famille que sur son lieu de travail.

 

En plan serré, ou quand la caméra s’éloigne d’Enzo pour permettre de l’observer, Campillo raconte les états de l’adolescence. Notamment celui que génère la volonté de ne pas faire comme papa le souhaite, de choisir de faire maçon quand papa rêve en grand à votre place. Les gros plans sur les expressions tourmentées de Pierfrancesco Favino sont éloquents.

 

A contrario, le personnage de Marion, qui concentre évidemment la tendresse et l’empathie d’une mère, réaffirme la liberté et la bienveillance que doivent les parents à leurs enfants. Surtout quand leurs horizons s’éloignent des leurs. L’ultime message cinématographique de Laurent Cantet, porté à l’écran par Robin Campillo, est certainement plus large, mais il illustre parfaitement le droit de s’affirmer socialement et émotionnellement.

(Falila Gbadamassi, FranceInfo Culture, publié le 15/06/2025)

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