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Le Fil
Les films judiciaires se multiplient depuis des décennies sur les écrans, avec le risque d’épuiser le spectateur dans un genre vu et revu. Daniel Auteuil s’essaye à son tour à cet exercice de style, casse-gueule, a fortiori en construisant son récit sur une histoire vraie. Et quelle histoire ! Celle d’un homme, bon sous tout rapport, qui se retrouve du jour au lendemain accusé du meurtre de sa femme, alcoolique, avec l’appui de son meilleur ami, un tenancier de bar. La majeure partie récit se passe au sein de la cour criminelle, opposant l’avocat de la défense avec le parquet, et au milieu, une présidence de tribunal qui mène à la baguette les témoignages et les questions.
En réalité, Le Fil n’est pas tant un long-métrage de procès, qu’un essai tortueux et glaçant sur la difficulté pour un être humain à parvenir à discerner la vérité et à faire condamner en conscience un accusé qui pourrait être innocent. Car ce Nicolas Milik est avant tout un père dévoué, aimé de ses enfants, un type simple qui ne boit pas une goutte d’alcool. Il y a face à lui un avocat qui commence à vieillir, s’épuise dans des affaires dont il ne voit plus vraiment le sens. Le titre s’inspire de la seule preuve qui pourrait faire condamner ce brave Milik, un fil de sa veste qu’il n’était pas censé porter le soir du crime, dans l’ongle de la victime. L’accusation générale écrit ainsi une histoire de toute pièce qui tente à partir de ce bout de tissu de révéler une vérité enfouie dans le silence de Milik.
Daniel Auteuil, ici l’acteur, donne la réplique à Grégory Gadebois. Tous les deux se font face, le premier dans la peau de cet avocat fragilisé par des années de plaidoirie, déterminé à innocenter son client ; et le second dans la peau de ce père de famille qui risque près de trente ans de prison pour un crime qu’il prétend ne pas avoir commis. Le scénario fait montre d’une habileté redoutable. Grâce aux dialogues d’une grande subtilité, que le jeu des comédiens magnifie, le réalisateur parvient à semer le trouble dans le regard du spectateur d’un bout à l’autre de l’histoire. On se retrouve presque dans la peau des jurés qui doivent en fin d’audience décider si l’homme est coupable et doit être condamné.
Les décors, le village où a eu lieu le drame, le bureau du juriste privilégient le dépouillement au bénéfice de l’épaisseur des mots et de force de conviction des acteurs. On ne sait plus qui croire, des proches de la victime, de l’accusé et des témoins. Seule la sincérité de l’avocat convainc le spectateur qui à son tour pourrait sombrer dans une vérité manipulée par la rhétorique huilée d’un expert du barreau. Le Fil provoque, émeut, déstabilise avec, en toile de fond, cette musique de Bach interprétée au piano qui étrangement rappelle celle qui scandait Anatomie d’une chute de Justine Triet, Palme d’or à Cannes en 2023.
Le Fil est un film fort, savamment mené, où l’on perçoit toute l’expérience du comédien et du réalisateur, Daniel Auteuil. Voilà un artiste qui n’a plus rien à prouver de son talent, et pourtant qui offre sur les écrans un vrai film de cinéma, percutant, tellement plus convaincant que ses autres œuvres en qualité de réalisateur. Le cinéaste prend le risque de déranger, troubler les perceptions du spectateur et se confronter à un récit où les a priori peuvent faire vaciller la vérité.