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FARIO

Jamais frontal, écrit dans une ambiguïté tout en nuance, le premier film de Lucie Prost affirme, s’il était utile de le confirmer, l’immense talent de comédien de Finnegan Oldfield.

 

Il ne bande plus. Triste constat d’un jeune homme exilé à Berlin dont l’existence fêtarde se perd dans des drogues et des relations sensuelles sans perspective. Quoi qu’il en dise, Léo traverse une période difficile, teintée de déprime, où il doit rassembler ses pensées, ses émotions, pour engager la vente des terrains laissés par son père à une société d’extraction de minerais. La vie berlinoise est bien différente de celle de son enfance, entre un père agriculteur qui s’est épuisé à pratiquer une agriculture biologique, une mère éducatrice spécialisée et les grandes plaines humides du Doubs. C’est justement dans ces contrées très belles que Lucie Prost pose son projet de film, avec en contre-point ces drôles de truites, les farios, qui semblent atteintes d’un mal étrange.

 

Fario offre une palette scénaristique très large qui ne permet pas vraiment de fixer le genre auquel appartient le long-métrage. Il y a comme fil conducteur le retour du garçon de famille sur ses terres natales où il doit régler des problématiques administratives en urgence et sans doute achever le deuil qu’il n’a jamais vraiment engagé. Autour de lui, se trament un récit familial, des circonvolutions amoureuses où l’on peine à discerner la sexualité de Léo, et surtout une sorte de thriller écologiste qui amène le protagoniste à faire la preuve de l’empoisonnement des rivières par les méthodes pratiquées en matière de forage par l’entreprise. Cette dernière a creusé un trou immense dans la montagne, comme un cimetière jamais refermé où le père de Léo aurait pu chuter.

 

Voilà donc un film à la fois très complexe et très simple dans sa structuration narrative. L’enquête que mène Léo apporte un rythme très dense au récit qui déroule, parfois en trompe-l’œil, les atermoiements psychologiques, sexuels et affectifs du héros. En réalité, la force évocatrice de l’histoire trouve ses origines dans le jeu absolument bluffant de Finnegan Oldfield. L’acteur démontre une maturité assez neuve dans son jeu, ses rôles nous ayant jusqu’alors habitués à des personnages adolescents ou au début d’âge adulte. Il s’insère dans des dialogues où il donne à voir toute l’ambiguïté de son personnage, qui alterne une certaine froideur, une forme de désinvolture, des comportements défensifs, avec beaucoup de tristesse.

 

Lucie Prost dont le film fait penser à l’écriture de Rebecca Zlotowski pour Grand Central (2013), adopte un scénario tout en mystères et nuances. Elle ouvre des pistes dont les réponses n’appartiennent qu’au spectateur. Une main qui se tend, un portefeuille ouvert, un regard échangé, autant de détails qui prennent ici une importance dramaturgique capitale. Fario s’amuse à disperser les spectateurs dans les régions intimes du personnage principal qui peu à peu se révèle comme un être très sensible, sur le fil, anéanti par des souvenirs dont il ne se remet pas.

 

Le plus incroyable demeure le fait qu’il s’agisse d’une première œuvre au cinéma. La réalisatrice connaît bien la région où elle tourne, et pour cause elle y a grandi. Elle apporte un très grand soin à la photographie, à la lumière et aux sons de la nature. Surtout, elle fait preuve d’une immense maturité dans la mise en scène et la conduite d’acteurs. Elle permet à Finnegan Oldfield de révéler toutes les potentialités passées et à venir de son métier d’acteur, ce qui constitue un vrai acte de générosité. L’art de la suggestion est au maximum dans une œuvre où se cultivent le goût de la poésie, de la nature et la force d’une jeunesse, capable de se dresser contre des montagnes.

(Laurent Cambon, Avoir à Lire, publié le 24/10/2024)

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