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HOKUSAÏ
Les quatre saisons d’un homme.
Hokusai est un peintre, un artiste mythique à la carrière extrêmement riche ayant duré plus de 60 ans. Décédé à presque 90 ans, le bonhomme a une vie absolument fantastique qui mériterait une série complète sur le sujet. Aussi, difficile exercice que de vouloir la résumer en 1h30. Présomptueux même ! C’est pourtant ce que va tenter Hokusai de Hajime Hashimoto.
Forcément 89 ans d’existence en 1h30, il faut faire des choix, des concessions ou avoir une vision précise de la chose. Le film de Hashimoto fait donc le choix de diviser sa vie en quatre segments, du début de sa carrière quand il est repéré par un imprimeur d’estampe ukiyo-e, à la fin de sa vie où il est assisté par sa fille O-Ei.
De fait, beaucoup d’éléments vont disparaître de son histoire pour la concentrer uniquement sur sa recherche de l’excellence, l’abnégation dédiée à son art au détriment de tout le reste. Nous ne voyons pas son enfance, ni son apprentissage, on voit assez peu sa vie privée, seulement sa première femme, seulement une fille parmi les 5 enfants qu’il a eus (O-Ei, dont nous découvrions le portrait dans Miss Hokusai de Keiichi Hara).
L’histoire commence alors qu’il est un fringant petit con dans la vingtaine, envieux et imbu de lui-même, viré de son école à cause de son comportement. Il finit par s’épanouir dans l’ukiyo-e, peindre des femmes et des acteurs de Kabuki est très à la mode à l’époque. C’est une forme d’art populaire qui est strictement réglementée par le shogunat qui voit l’estampe d’un mauvais oeil. Sortir des clous c’est s’exposer à la censure et parfois à des sanctions pouvant aller de la prison à l’exécution.
On commence d’ailleurs là-dessus, avec une boutique d’ukiyo-e mise à sac par les troupes du bakufu d’Edo qui brûlent les ouvrages et peintures devant son propriétaire. Parmi les choses intéressantes du récit, nous retrouvons cette dimension populaire de l’ukiyo-e en opposition à la peinture classique. En effet tout le monde peut posséder des estampes de Hokusai, car il s’agit d’une gravure sur bois, dont l’originale peinte est détruite à mesure qu’est conçu son modèle de reproduction pour que tout le monde puisse se l’approprier.
Il y a donc eu des milliers de reproductions de Hokusai qui ont tourné de main en main et ce sont ces oeuvres qui ont fini par atterrir en Europe, donnant l’inspiration aux impressionnistes et créant le courant du japonisme. Il y a dans le film toute une opposition entre monde populaire et bourgeoisie nouvelle, face au gouvernement et à une noblesse ancienne qui rejettent ces nouvelles formes d’art, considérées comme décadentes ou vulgaires.
L’absence de contexte est peut-être un des soucis du film
L’art est provocateur, il sort des moeurs de l’époque, il ose questionner les puissants, parler d’érotisme et de sexualité, montre le quotidien des petites gens et ce n’est pas au goût de tout le monde. Utamaro fera 50 jours de détention enchaîné pour une estampe où il représentait Hideyoshi avec ses cinq concubines (et ça a dû le mettre mal parce qu’il est mort l’année suivante). Mais ça n’est pas dans le film et c’est peut-être un des soucis de celui-ci : son absence de contexte.
Comment on fabrique des estampes ? Qui sont Tsutaya Jûzaburô, Utamaro ? Qui est au pouvoir à l’époque ? Comment se régule le marché de l’art, pourquoi c’est si dangereux de peindre ? quelle transgression artistique, quel courant est en train de poindre ? Tout cela, le spectateur doit le savoir avant d’entrer dans la salle ou accepter de n’entrevoir cet univers que par un trou percé dans une porte en papier de riz.
Cette recherche absolue de l’excellence par Hokusai (parmi ses 120 pseudos, certains pensent même qu’il pourrait se cacher derrière Sharaku, un autre artiste de l’époque), de ses tâtonnements et errances jusqu’aux 36 vues du mont Fuji et sa fameuse grande vague de Kanagawa, sont très succinctement décrites. C’est sobre, presque iki, un concept né à l’époque. Des éléments comme sa jalousie sont des inventions pour combler les trous de l’Histoire. C’est un bon film mais si pour un japonais certains éléments coulent de source, en France on ne pourra que s’interroger sur l’importance ou le rôle des nombreux personnages secondaires, qu’ils aient été peintres, écrivains, imprimeurs ou même samouraïs.
Hashimoto n’est pas un réalisateur spécialement connu en France, il a pourtant déjà une petite carrière au Japon et l’an dernier est sorti un film intrigant appelé Grand Guignol qui semble pencher du côté de Furuya et de Litchi Hikari Club, donc à surveiller ! Il est difficile d’analyser son travail sur le long. Dans Hokusai la réalisation est sobre, feutrée, avec un joli travail sur la lumière et les couleurs.
Les acteurs sont bien dirigés (on retrouve Yûya Yagira de la série live Gannibal en Hokusai jeune, et le grand Min Tanaka quand il est agé). Évidemment comme c’est un film d’époque qui se passe à cheval entre le 18e et le 19e siècle, il n’y a pas besoin d’effets spéciaux. En revanche, les décors d’Edo sont très jolis et il y a un grand soin apporté à l’architecture mais aussi aux tenues et costumes de l’époque, historiquement fidèles. On appréciera la demeure du maître dans la fin de sa vie, semblable à une masure en décrépitude au fin fond des bois où il se perd dans son art, s’immergeant dans la nature pour mieux la saisir.
Parmi les choix de réalisation assumés d’Hashimoto, celui de ne pas rendre la vie d’Hokusai exceptionnelle, de le rendre humain et proche des gens, fonctionne. Avec ses nombreux défauts, son côté obsessionnel qui pourtant ne l’a pas empêché d’aimer et d’avoir des amis, il réussit à en faire une figure abordable et humble. L’artiste ne se considérait même pas bon avant ses 60 ans, il a réalisé son chef d’oeuvre à 70 ans. Il a passé sa vie à dessiner. Plus qu’une obsession c’était sa raison de vivre et ça se ressent à travers le métrage.