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MON PARFAIT INCONNU

Dans un premier film formellement très abouti, la réalisatrice finno-suédoise Johanna Pyykkö explore son temps, le mensonge et l’identité.

 

Ce premier long-métrage de la réalisatrice finno-suédoise Johanna Pyykkö raconte quelques semaines de la vie d’une jeune fille à Oslo, tranche de vie dans laquelle il va s’avérer pour le spectateur difficile, voire impossible, de démêler le vrai du faux.

 

Ebba, 18 ans, a quitté sa cité, sa mère et sa sœur, atteinte de trisomie, pour vivre dans un petit studio en sous-sol d’une maison cosy dans un riche quartier résidentiel d’Oslo. Ebba travaille pour une entreprise de nettoyage et s’occupe régulièrement de sa sœur. La jeune fille observe le voisinage, jeunesse dorée d’Oslo, s’imaginant en faire partie.

 

Ses propriétaires, quand ils partent pour un mois en vacances, lui confient les clés de la maison. Quelques jours plus tard, elle trouve un homme dans le port d’Oslo en rentrant de son travail. L’homme, blessé à la tête, semble avoir perdu la mémoire. Elle profite de cette amnésie pour s’installer avec lui dans la maison de ses propriétaires, lui faisant croire qu’il est son petit ami…

 

La réalisatrice installe son intrigue dans un décor, un contexte géographique et social : Oslo, ses quartiers riches et ses quartiers pauvres, ses travailleurs de nuit, ses immigrés aux activités plus ou moins légales, ses habitants qui vivent dans de belles maisons cossues, le fjord à leurs pieds.

 

Dans la tête d’Ebba

Mais très vite, ce qui pourrait ressembler à une chronique sociale se transforme en thriller psychologique, avec un scénario qui nous installe dans une tension constante, dans le point de vue exclusif de son personnage féminin, Ebba, une jeune fille qui ment à tout bout de champ, et abuse d’un homme qu’elle manipule comme un jouet.

 

Qu’est-ce qui est vrai, qu’est-ce qui est mensonge dans le récit qui nous est fait de cette tranche de vie, de cette rencontre, et des événements qui s’enchaînent entre le départ et le retour des propriétaires ? Ce qui est donné à voir est-il réalité ou mystification ?

 

Très réussi sur un plan formel, avec des effets de mise en scène originaux, mais jamais gratuits, ce premier long-métrage singulier est porté par la jeune actrice Camilla Godø Krohn et sa présence magnétique. La réalisatrice joue des décors, des accessoires, des costumes, des objets – comme ces petites figurines sans visage de terre cuite, qui ouvrent et referment le film – pour mieux perdre le spectateur dans les méandres d’un récit biaisé par ce qu’en littérature, on appellerait un « narrateur non fiable ».

 

Un format 4:3, des plans très serrés sur le visage et les yeux du personnage d’Ebba, pourtant impénétrables, des arrière-plans souvent flous, un travail méticuleux sur le son… Tous ces procédés de mise en scène nourrissent le trouble, jusqu’au malaise, avec cette impression pour le spectateur d’être enfermé dans la tête du personnage sans pour autant comprendre ou saisir ce qui s’y passe réellement. Un jeu de piste dans lequel il devient amusant d’essayer de débusquer des indices pour démêler le vrai du faux.

 

Mon parfait inconnu offre une réflexion sur le mensonge, sur le rapport entre une vie réelle et une vie rêvée, sur la propension à se projeter dans une fiction personnelle, intime, pour s’extraire de la réalité, parfois insupportable.

 

Le film questionne également l’identité, et ce qui reste de nous quand on vit dans le mensonge, ou quand la mémoire de ce que l’on a été s’est totalement évaporée. Avec, au centre de tout cela, la possibilité (ou pas) d’une vraie rencontre amoureuse.

(Laurence Houot, FranceInfoCulture, publié le 20/07/2024)

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