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LE RÈGNE ANIMAL
Êtes-vous prêts à découvrir un film bouleversant, audacieux, pertinent et gracieux ? Le Règne animal de Thomas Cailley est LE film qu’on attendait pour provoquer une salutaire déflagration dans nos consciences.
Thomas Cailley a le sens du mouvement. En un court-métrage (Paris Shangaï), deux longs et une série (Ad Vitam, saison 1), ce réalisateur a fait de nos peurs profondes le terreau de récits haletants, où l’humour côtoie l’étrangeté et dont on ressort transcendés. Avec son premier long Les Combattants, à la cannoise Quinzaine des Réalisateurs en 2014, il avait raflé trois prix et suscité un engouement choral. En osant le mélange des genres – le film d’action, la comédie, la rom com – et des tonalités, il unissait une jeune femme bien décidée à se former à la survie en milieu hostile et un garçon sans histoires, qui, intrigué, lui emboîtait le pas et s’embarquait à ses côtés pour un stage d’initiation militaire, suivi d’un bivouac sauvage dans la forêt landaise.
Dans Le Règne animal, Thomas Cailley et sa coscénariste Pauline Munier (à l’origine de cette histoire) nous plongent d’emblée dans un monde antinaturaliste, où tout sonne pourtant juste. Dans cette société, un curieux phénomène, que la gendarmerie tente de canaliser, fait se métamorphoser une partie de la population en animaux divers. Parmi ces mutants, Lana, l’épouse de François (Romain Duris) et mère d’Émile (Paul Kircher), que ces derniers tentent de sauver en l’accompagnant, d’abord, dans un centre médical du sud-ouest de la France, puis en partant à sa recherche dans une forêt aux faux airs louisianais.
Dans sa première séquence, Thomas Cailley nous présente le père et le fils bloqués dans un embouteillage urbain. L’ado avale des chips goulûment et en nourrit son chien, tandis que son père, homme méthodique et pétri de principes, tente de l’initier à la désobéissance civile en citant René Char : « Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience ». La scène, drôle, pourrait être ordinaire, mais quelque chose dans la saturation de la photographie et l’intensité du jeu de Romain Duris nous place aussitôt en état d’alerte. Jusqu’à ce que surgisse une créature, mi-homme mi-oiseau (Tom Mercier, quel rôle !) et la fable peut prendre son envol.
Pour le spectateur, c’est un ravissement : il est si rare de voir au cinéma une image fantasmagorique qui ne soit pas déréalisée. Sans kitsch aucun, Thomas Cailley donne corps à des mutants en jouant la carte de la frontalité, en filmant de près les textures, les peaux, griffes, poils, écailles, tout ce qui constitue la matière même du vivant. Le Règne animal joue la carte du va-et-vient entre l’attraction des uns et la répulsion des autres envers ces êtres hybrides, imaginés avec soin, que Thomas Cailley donne parfois à regarder de près, yeux dans les yeux, dans de gros plans magnifiques (notamment celui sur la « bestiole » dans le supermarché, qui ressemble fort à un pangolin).
Dans ce conte initiatique, il est question de la mutation à l’adolescence, de différence (la jeune fille que joue Billie Blain est atteinte d’un trouble de l’attention), d’intolérance, de défiance envers ce qui ne nous ressemble pas, mais surtout de la part animale en chacune et chacun que l’Homme a niée au fil des siècles. C’est un sujet crucial (sur lequel nous reviendrons à Bande à part), car en développant une position de surplomb face au monde animal et à la nature en général, l’humanité a foncé droit dans le mur et en subit aujourd’hui les conséquences. Avec EO, découvert à Cannes l’an passé, Jerry Skolimowski ne disait pas autre chose. Si le cinéaste polonais tentait à sa manière de nous faire éprouver physiquement le lien rompu entre l’homme et l’animal, à travers le parcours de cet âne malmené par ses maîtres successifs, Thomas Cailley nous place, lui, face à notre propre animalité, notre propre dualité, notre propre complexité.