Il y a dans Slow de la réalisatrice lituanienne Marija Kavtaradze qui sort en France mercredi 6 août, une étrangeté douce, un pas de côté. Quelque chose qui d’abord déroute, puis s’impose avec la force tranquille de l’évidence. Après le succès de Summer Survivors en 2018, présenté à Toronto et couronné de plusieurs prix, la cinéaste revient avec Slow, déjà primé pour la meilleure réalisation au festival de Sundance.
Ce film est une rencontre. Elena danse, elle incarne le mouvement. Dovydas, interprète en langue des signes, traduit le monde par le silence, mais sans mutisme. Leur rencontre se joue sans fracas : une connexion immédiate, organique, presque trop simple pour être soupçonnée.
Mais très vite, le récit glisse ailleurs. Dovydas ne désire pas – ni elle, ni personne. Il est asexuel. Le film ne s’attarde pas, ne surligne pas. L’information est là, posée avec naturel, comme un fait parmi d’autres. Et c’est dans cet espace que Slow s’invente : au croisement de deux langages corporels, la danse et les signes, et d’un troisième, plus impalpable – celui d’un amour débarrassé du scénario attendu qui casse les codes sociaux.
Loin de tout pathos, la mise en scène explore cette intimité sans contour dramatique, avec une grâce rare. Il aime autrement, ils s’aiment autrement. Pas d’explication, pas de démonstration, juste le temps suspendu d’une relation qui choisit ses propres règles. Slow ne cherche pas à convaincre. Il montre, tout simplement, qu’un autre rythme est possible.
La réalisatrice Marija Kavtaradze ne cherche ni à expliquer ni à théoriser l’asexualité. Ce n’est pas un manifeste, c’est une plongée sensorielle dans ce que peut être l’amour autrement. Le vrai sujet du film, ce n’est pas le sexe, ni son absence, mais la lente construction d’une relation où les attentes ne sont pas toutes déjà codifiées. On y parle d’écoute, de patience, de limites, de frustrations parfois aussi – mais jamais avec dureté. Le film est habité par une douceur constante, un soin porté aux gestes, aux regards, à ce qui se dit sans les mots.
Le duo Greta Grineviciute/Kestutis Cicenas fonctionne avec une alchimie discrète mais indéniable. Elle, toute en grâce et spontanéité, incarne le feu du désir, le besoin de contact, de présence physique. Lui, tout en pudeur et en délicatesse, s’ouvre par petites touches, avec vulnérabilité. Le contraste aurait pu éclater, mais la réalisatrice montre parfaitement ce frôlement de ces deux êtres que tout oppose, en apparence.
Tourné en pellicule, Slow capte la lumière comme on capte un souvenir : avec chaleur et mélancolie. Il y a des scènes qui semblent suspendues dans le temps, comme si l’on revivait un moment qu’on n’est pas prêt à laisser partir.
Le rythme du film suit cette lenteur assumée : parfois méditatif, parfois un peu languissant, mais jamais creux. Quand la tension monte, ce n’est jamais à travers des éclats, mais plutôt par l’accumulation de silences ou de malentendus.
Et s’il y a un reproche à adresser à Slow, c’est peut-être de s’égarer par instants dans cette torpeur douce, au risque de perdre un peu de son intensité. Mais il s’agit là d’un parti pris cohérent : ne rien forcer. Laisser la relation se déployer à son rythme, sans chercher à coller à des attentes narratives classiques.
Plus qu’un film sur l’asexualité, Slow est un film sur la tendresse, sur la manière dont deux êtres peuvent tenter de se rencontrer sans s’annuler. C’est un récit qui invite à reconsidérer ce que l’on attend d’une relation, à accepter que l’intimité peut prendre mille formes. Un film où le corps exulte autrement, où la sensualité n’est pas toujours là où on l’imagine, et où le silence, parfois, en dit bien plus que les mots.
(Paul Dubois, franceinfo culture, 03/08/2025)