Copyright Fanny De Gouville
DOSSIER 137
Le réalisateur de « La Nuit du 12 » signe un film très engagé sur les violences policières, avec Léa Drucker dans le rôle d’une « boeuf-carottes ».
Dans ce huitième long-métrage, présenté en compétition au Festival de Cannes 2025, Dominik Moll met en scène Léa Drucker dans le rôle d’une inspectrice de l’IGPN.
Stéphanie (Léa Drucker) est une commandante scrupuleuse des services de l’IGPN, la police des polices. Après une plainte de la mère de Guillaume, 20 ans, grièvement blessé à la tête par un tir de LBD, Stéphanie tente de reconstituer ce qui s’est déroulé ce soir-là, dans une petite rue proche de l’Étoile, à Paris.
Elle scrute les images des caméras de surveillance, interroge les différents responsables des services de police engagés sur le terrain le jour du tir. Elle enquête aussi du côté de la famille et des amis de Guillaume. Si les soupçons se resserrent autour d’un petit groupe de policiers de la BRI en civil, rien ne prouve qu’ils sont les auteurs des blessures de Guillaume. Interrogés, ils nient en bloc. Mais Stéphanie n’a pas l’intention de lâcher cette affaire qui lui tient particulièrement à cœur pour des raisons personnelles.
« On ne s’en fout pas »
Avec ce huitième long-métrage, le réalisateur français de 63 ans poursuit son travail sur la justice et sur la quête de vérité en s’attaquant à la question des violences policières, un sujet particulièrement sensible et politique, soulevé de manière aiguë pendant la crise des « gilets jaunes ».
Dans un scénario millimétré, il décortique chaque étape du travail de Stéphanie, un personnage déterminé à faire la lumière sur ce cas particulièrement dramatique. Elle est d’autant plus impliquée que Guillaume et sa famille sont originaires de Saint-Dizier, la ville où elle a grandi, et où ses parents vivent toujours. Ce point commun aide-t-il ou biaise-t-il l’enquête ? Cette question traverse le film, qui nous interroge aussi sur les relations entre la société civile et la police, souvent tendues.
Le réalisateur scrute à la loupe le fonctionnement de l’IGPN, pour qui la tâche n’est pas aisée. Coincés entre une corporation dont ils font partie, mais qu’ils sont amenés mettre en cause dans l’exercice de leur fonction, et une population de plus en plus hostile à l’égard des forces de l’ordre, les « bœuf-carottes », comme on les appelle, n’ont pas la tâche facile.
En tirant le fil de ce « dossier 137 » avec un regard qui se veut objectif, le scénario pose toutes les problématiques sur la table. La violence des manifestations, l’épuisement des forces de l’ordre, qui souffrent d’un manque de moyens, jusqu’à devoir « acheter eux-mêmes leurs casques chez Decathlon », les erreurs de casting (envoyer dans la rue des policiers de la BRI habitués à neutraliser des terroristes plutôt que des manifestants), la pression politique exercée par un gouvernement en panique…
En face, les victimes, qui ne se sentent pas entendues, et des citoyens en crise de confiance vis-à-vis des forces de l’ordre. « On ne s’en fout pas », dit Stéphanie à la mère de Guillaume. « On va mettre tout ça par écrit », la rassure-t-elle avant de se lancer dans son enquête, avec le peu de moyens dont elle dispose, dans un service débordé lui aussi par les dizaines de cas à traiter, et qui travaille sous la pression du politique.
L’art du champ-contrechamp
Avec ce film, Dominik Moll interroge une fois encore la marche des institutions démocratiques et leurs dysfonctionnements. Au-delà des points soulevés frontalement, le film est rempli de sous-textes, notamment sur la mise sous surveillance de l’espace public, avec des caméras et les outils d’un monde ultra-connecté.
Quand ce ne sont pas les caméras de surveillance ou les badges électroniques qui documentent nos moindres faits et gestes, les smartphones prennent le relais. Le film scrute cette mise sous surveillance permanente, utile ici pour contrecarrer les dénégations des policiers, mais inquiétantes sur la question du respect des libertés individuelles.
Dans un film ouvertement politique, sans doute le plus engagé de Dominik Moll, se dessine aussi le portrait d’une femme qui exerce avec intégrité et ténacité son métier, même si elle a quitté les stups à contrecœur pour faciliter l’organisation de la vie de famille, au profit de son mari, lui aussi policier.
Une fonctionnaire exemplaire, qui essaie aussi d’être « une mère pas trop nulle ». En réalité, elle est une mère incroyablement présente pour son fils adolescent. Léa Drucker porte avec intensité et subtilité ce personnage remarquable, qui fait aussi de Dossier 137 un manifeste féministe, sans grands discours.
Dominik Moll conduit son histoire avec sa méthode habituelle, une réalisation sobre et scrupuleuse, dans laquelle il manie avec génie des outils classiques de mise en scène, notamment l’art du champ-contrechamp, particulièrement adapté à un propos qui tend à faire entendre toutes les voix, et qu’il semble chaque fois réinventer. La mise en scène intègre des images d’archives des manifestations, mais aussi des images de type vidéos de surveillance, d’interrogatoires, pièces majeures dans le déroulement des enquêtes de l’IGPN, avec cette plastique particulière qui donne au film une dimension documentaire, réaliste.