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NOTRE CORPS
Claire Simon filme avec à-propos le corps des femmes dans tous ses états à l’hôpital. La qualité des témoignages réunis dans le dernier documentaire de la réalisatrice en fait un long métrage incontournable.
Claire Simon a fait des aventures souhaitées ou subies de Notre corps, celui des femmes, un magistral documentaire, à découvrir en salles à compter du 4 octobre. Tourné dans les murs de l’hôpital Tenon dans le service gynécologie-obstétrique, à Paris, et donnant la parole aux patientes, le long métrage confère tout son sens à cette forme cinématographique dont la vocation est de capter le réel.
Au fil de l’eau
Le premier entretien auquel le spectateur est invité à assister dans Notre corps et le rose du vêtement de l’adolescente, dont on découvre l’initiation aux choses de l’amour, paraissent faire le lien avec Les Bureaux de dieu (2008). Dans son long métrage de fiction, Claire Simon faisait la promesse suivante : « Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les femmes… sans jamais oser le demander ». Avec Notre corps, cette promesse est tenue jusqu’au bout d’autant que la réalisatrice avait regretté de ne pas avoir évoqué le suivi des grossesses dans cette immersion fictionnelle dans le quotidien d’un bureau du planning familial.
En nous invitant dans ses pas et en nous prenant la main jusqu’au générique final de Notre corps, Claire Simon fait des spectateurs les témoins privilégiés des vicissitudes du corps féminin en lui offrant des images uniquement accessibles au personnel médical. Tout y est : de l’éveil sexuel à la grossesse, en passant par l’avortement, le changement de sexe, la procréation médicalement assistée, les pathologies gynécologiques – le cancer du sein, qui peut nécessiter une reconstruction mammaire, et l’endométriose notamment –, ainsi que les violences gynécologiques et obstétricales autour desquelles les tabous tombent. Notre corps traite ces différents sujets dans une chronologie parfaitement cohérente.
Toutes ces femmes et leurs accompagnants, qui ont fait confiance à Claire Simon en se livrant sans fard dans des moments intimes et souvent difficiles, racontent à travers leur corps une partie importante de leur vie : leurs souffrances, leur bonheur et leurs espoirs. Dans cet hôpital, dont on est invité à emprunter les couloirs et à s’arrêter dans ses différentes salles, on admire la qualité d’écoute et l’implication des soignants. Ceux qui interviennent dans les procédures de fécondation in vitro expriment leur excitation, comparable à celle des parents. On voit également des médecins, qui maîtrisent tant bien que mal la langue de leurs interlocuteurs (l’espagnol ou l’anglais), ne reculant pas non plus quand les informations ne sont faciles ni à entendre ni à donner.
Le documentaire de Claire Simon, qui dure presque trois heures, est irrégulier du fait même de ce qui est filmé : il y a des témoignages, des situations qui paraissent plus intenses que d’autres. A l’instar de cette scène qui montre l’enchantement de l’accouchement pour une mère guidée par une spécialiste, une sage-femme (maïeuticienne) dont la voix apaisante résonne longtemps encore après avoir vu le film. Mais cette expérience, solitaire par bien des aspects, peut-être traumatique. Les séquences liées à l’accouchement sont d’ailleurs aussi poignantes que celles sur la fin de vie.
Claire Simon, une patiente parmi d’autres
En (re)découvrant l’accompagnement dont peuvent bénéficier celles qui ont recours à l’IVG, on mesure davantage combien ce droit, dont sont privées certaines Américaines depuis peu et plus largement des centaines de femmes partout dans le monde, est précieux. La simplicité de la procédure médicale entourant ce geste, qui n’est évidemment pas anodin, renforce ce sentiment. Tout comme les consultations liées à la transition (vers le sexe féminin ou masculin) sont une piqûre de rappel pour se souvenir que toutes les personnes qui le désirent n’y ont pas accès. Notre corps s’apparente ainsi à un état géopolitique de la santé des femmes. Au-delà des interdictions, c’est aussi la technologie médicale mise à leur disposition qui se donne à voir. Et toutes les femmes ne sont pas aussi chanceuses que celles qui vivent sur le territoire français.