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FLOW
Au même titre que le documentaire, l’animation est souvent peu présente pendant le Festival de Cannes, et s’y démarque encore plus. En 2024, ça a été le cas pour l’un de nos coups de cœur de la sélection Un certain regard : Flow, le chat qui n’avait plus peur de l’eau, fable sans dialogues sur la (sur)vie. Si la seule présence d’un petit chat suffit à imposer un KO par forfait, le film de Gints Zilbalodis est surtout une splendeur visuelle, qui pioche autant dans le cinéma d’Alfonso Cuaron que dans le jeu vidéo.
Minouspace
On avait repéré le réalisateur letton Gints Zilbalodis avec Ailleurs, film sur la profonde solitude d’un humain abandonné sur une île. Le cinéaste avait réalisé cet exploit seul (ou presque), au point de connecter son expérience avec celle de son personnage.
Avec Flow, l’artiste a désormais les moyens de ses ambitions, et avec lui, une équipe. Il est le premier à faire le lien entre son parcours et celui de ce petit chat contraint de faire confiance à d’autres animaux sur un bateau de fortune. Cela explique peut-être l’évidence instinctive et viscérale de ce récit sans dialogues. D’un côté, le long-métrage est d’une limpidité thématique et structurelle impressionnante d’universalité. De l’autre, sa mise en scène ne cesse de façonner un voile de mystère qui fait toute sa singularité.
Alors qu’on démarre dans une maison remplie de statues de chats, Flow se laisse aller à l’ambiguïté de son hors-champ. Dans ce monde en apparence post-apocalyptique, les humains semblent avoir disparu. Derrière l’étonnante tranquillité qui se dégage de cette absence, ce sont nos amis les bêtes qui payent les pots cassés. La catastrophe écologique prend ici la forme d’un déluge (impressionnante imagerie, portée par un rendu de l’eau très réussi), qui engloutit le passé autant qu’il impose une mutation de notre planète.
Embarqué malgré lui dans un périple aux accents mythologiques campbelliens, notre ami félin est bien contraint, comme ses compagnons (un labrador, un lémurien, un héron et un capybara), de s’adapter. L’environnement a l’ascendant, et c’est d’ailleurs lui qui conduit la direction de la narration. On sent le film nourri par le jeu vidéo, avec sa caméra qui tournoie autour des corps et pénètre l’espace dans des travellings saisissants. Avec un sens de l’échelle aussi poétique que spectaculaire, Zilbalodis nous parle d’une nature qui panse ses plaies, se reboote avec toute la violence que cela suppose.
Je danse le miaou
C’est aussi pour cette raison que Flow n’hésite pas à convoquer une certaine noirceur, une sensation d’abandon cosmique où cette troupe d’animaux n’a plus qu’elle-même pour se protéger. Si les plans-séquence spectaculaires du film renforcent la menace pesante des raz-de-marée sur notre petite créature à poils (on pense à la tension qu’Alfonso Cuarón a su instiguer dans Les Fils de l’homme et Gravity), la sensation de sublime qu’il capte, à la manière d’une toile de Caspar Friedrich, impressionne autant qu’elle effraie.
Sans jamais donner de paroles ou sans trop anthropomorphiser les animaux, le long-métrage transpose par leur regard une forme d’éco-anxiété très contemporaine, un rapport écrasant à l’Anthropocène malgré la disparition des êtres humains de l’équation. Quelle Terre allons-nous laisser derrière nous ? Quelle sera notre responsabilité dans l’effondrement du monde ? Et quel impact aurons-nous sur les espèces survivantes ?