Copyright Teorema 2023

MEMORY

Depuis son premier long DANIEL & ANA en 2009, dans lequel des ravisseurs forçaient un frère et sa sœur à coucher ensemble devant la caméra, le nom de Michel Franco est associé à un cinéma un peu choc, parfois jusqu’à en perdre tout sens dramaturgique – la fin idiote de CHRONIC –, et extrêmement manipulateur car jouant très consciemment, sans tact, avec la notion de pathos. Autant dire que, sur le papier, voir le cinéaste mexicain s’attaquer au sujet si délicat de la démence type Alzheimer laissait présager du pire.

La réussite de MEMORY n’en est que plus surprenante et appréciable. Sylvia (Jessica Chastain) travaille dans un centre d’accueil pour personnes handicapées. Elle élève seule sa fille adolescente, sa vie rythmée par le boulot et ses réunions aux Alcooliques Anonymes – elle est sobre depuis 13 ans. Un soir, elle est suivie par un homme, Saul (Peter Sarsgaard), dont le comportement étrange est dû à sa démence précoce – ses souvenirs anciens perdurent mais sa mémoire récente déraille. Le frère de Saul propose à Sylvia de prendre soin de lui. À moins que ce ne soit l’inverse… Tout comme dans CHRONIC, Michel Franco met en scène un personnage d’aidant, qui voue sa vie aux autres. Sylvia, pourtant, aurait bien besoin qu’on s’occupe d’elle : cette femme méfiante constamment sur ses gardes, peu encline à se lier aux autres, va rapidement révéler un lourd passé.

Ce que MEMORY capture, c’est tout d’abord son difficile parcours de gestion de ses traumas, remarquablement porté par la prestation de Jessica Chastain, toujours sur le fil, prête à chaque instant à s’effondrer ou à basculer dans la rage. Un parcours intimement lié à celui de Saul, homme foncièrement bon, dont le passé n’a pas toujours été rose non plus, mais qui, contrairement à Sylvia, est forcé de l’oublier. Un personnage que Peter Sarsgaard incarne sans le moindre souci performatif : la profondeur et la vérité des émotions que ses regards laissent transparaître en toute discrétion en font une des plus belles prestations d’acteur récentes, remarquablement naturaliste mais foncièrement romanesque, grave mais tendre, sans le moindre chantage putassier. Si bien que, face à tant de subtilité, le cinéma de Franco semble naturellement dompté. MEMORY traite de sujets complexes et difficiles, potentielles portes ouvertes au pire des pathos, mais jamais le cinéaste ne dérive vers ses anciens excès – alors que le récit lui en laisse plusieurs fois l’occasion. Il danse lui aussi sur le fil et, pour une fois, parvient au parfait équilibre : regarder les pires ténèbres avec émotion, et un semblant d’espoir.

(Aurélien Allin, Cinéma Teaser, publié le 28/05/2024)

Écrire un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.