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DOS MADRÈS

« Dos Madres » s’inspire d’un scandale d’État qui a plongé de nombreuses familles espagnoles dans la détresse pendant et après le régime franquiste.

 

Le réalisateur espagnol  Víctor Iriarte signe un premier long-métrage très réussi, inspiré par un scandale d’état : la mise en œuvre de la fin des années 1930 jusqu’aux années 1980 d’un système d’enlèvement d’enfants à la naissance placés dans des familles acquises au régime, avec pour objectif de les éloigner de la prétendue « mauvaise influence » politique de leur mère.

 

Véra (Lola Dueñas) n’a jamais renoncé à chercher son fils, dont elle a été séparée le jour de l’accouchement. Persuadée qu’il est vivant, elle a depuis tout essayé pour le retrouver, mais son dossier a disparu, et elle se heurte au silence de l’administration.

 

Elle choisit alors de basculer dans l’illégalité pour obtenir les informations qu’elle recherche, et parvient enfin à retrouver la trace de son fils, Egoz (Manuel Egozkue), désormais jeune adulte, adopté par Cora (Ana Torrent), elle aussi victime du système. Les deux femmes et le garçon prennent alors le temps de se retrouver, afin que chacun puisse panser ses blessures et remettre les choses à leur place.

 

« Éradiquer les gènes du marxisme »

Avec ce premier long-métrage à la réalisation soignée, le réalisateur espagnol Víctor Iriarte revient sur un scandale d’État, révélé en 2010 avec un documentaire, Les Enfants volés du franquisme, diffusé en 2010 par la télévision espagnole. Entre 1940 et les années 1980, environ 300 000 enfants auraient été volés en Espagne.

 

Cette opération massive d’enlèvements de bébés, inspirée par les théories d’Antonio Vallejo-Nájera, un psychiatre franquiste, a été mise en œuvre pour éloigner les enfants de leur mère républicaine, pour « éradiquer », chez les nouveau-nés, « les gènes du marxisme »À la mort de Franco, les enlèvements ont continué, avec les mêmes complices dans les hôpitaux, les administrations, et pour des raisons pécuniaires.

 

À travers le destin d’une de ces femmes, et de celui de la mère adoptive de l’un de ces enfants volés, Dos Madres explore les sentiments des victimes et questionne plus largement la question de la filiation, de la maternité et de l’identité.

 

Alors qu’il démarre comme un film policier, imprégné de la violence d’une mère prête à tout pour retrouver son enfant et faire payer ceux qui lui ont enlevé son fils, Dos Madres s’éloigne de sa veine policière pour s’acheminer peu à peu vers un registre beaucoup plus psychologique, centré sur les sentiments des trois protagonistes : un fils entre ses deux mères.

 

Le film explore les liens qui se tissent entre eux comme le ravaudage d’un passé mis en pièces par un système d’État, motivé par des raisons idéologiques, puis financières. Ces trois personnages entament un chemin de reconnaissance, comme la révélation d’une identité, tronquée pour chacun d’entre eux par la violence d’un système corrompu.

 

Dans un récit chapitré, Víctor Iriarte glisse avec habileté des archives (muettes, accentuant ainsi la force des images). Dans une mise en scène pleine d’idées et très maîtrisée, ce premier long-métrage d’un réalisateur prometteur est aussi servi par les deux comédiennes, Lola Dueñas et Ana Torrent, qui incarnent ces deux figures maternelles et redresseuses de torts avec une grande intensité.

(Laurence Houot, FranceInfo Culture, publié le 16/07/2024)

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