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RABIA
La mécanique sectaire, qui prévaut dans toutes les organisations qui leurrent leurs victimes pour davantage les exploiter, est formidablement dépeinte dans le premier film de cette cinéaste allemande.
Elles croyaient ne plus avoir de perspectives en France. Sur la toile, elles se sont consolées dans les bras virtuels des « combattants » de l’organisation terroriste Daech avant de se rendre en Syrie pour convoler. Mais elles n’imaginaient pas avoir rendez-vous avec la souffrance et la mort. La tragique mésaventure de milliers de jeunes femmes est racontée par Mareike Engelhardt dans son premier film, Rabia […].
Inspirée par des faits réels et sur les pas de Rabia, alias Jessica (Megan Northam), la cinéaste allemande chronique le quotidien d’une « madafa », une maison où sont réunies des femmes censées épouser des soldats de Daech. La madafa dépeinte par Engelhardt est une machine bien huilée : elle accueille des femmes du monde entier dans leur langue maternelle, ou à défaut en anglais. Jessica et sa copine Laïla (Natacha Krief) tombent dans ce piège infernal.
Les motivations des jeunes femmes sont claires dès les premières images de la fiction. Ainsi, on voit Rabia nettoyer le lit d’une personne âgée, travail éreintant et apparemment peu gratifiant qui explique en partie son départ pour la Syrie. Et l’aventure se vit à deux, notamment avec Laïla qui s’est trouvé un fiancé, Akhram, un soldat de Daech. À Raqqa, destination finale d’un aller simple, les désillusions s’enchaînent pour Laïla.
Rabia perd ainsi son alliée et devient le jouet de Madame (Lubna Azabal) qui règne sur la madafa. Leur face-à-face alimente une intrigue psychologique dont les rebondissements rythment la narration. Entre la proclamation, en 2014, du Califat (territoires contrôlés par Daech en Syrie et en Irak) et les frappes de la coalition internationale qui vont libérer Raqqa en 2017, Mareike Engelhardt décrit l’autre guerre à laquelle se livrent Rabia et Madame. Les griffes de Daech sont avant tout celles d’une personne malfaisante qui veut, entre autres, régler ses comptes avec un Occident dont elle estime maîtriser les codes pour contribuer à le détruire. Le personnage de Madame est un double fictionnel de la Marocaine Fatiha Mejjati, alias Oum Adam, surnommée « la veuve noire ». Elle est aujourd’hui une criminelle en fuite.
Les dessous d’une servitude volontaire
De façon graduelle, Mareike Engelhardt montre comment Madame douche les espoirs de Rabia qui aspire à se rendre utile au djihad. En France, confie la jeune femme, elle ne voulait pas devenir l’« esclave » d’une société qui ne la voyait pas. Les expressions faciales et le langage corporel de Megan Northam suffisent à pénétrer dans le monde tourmenté de Rabia. En essayant de résister au fonctionnement prédateur et oppresseur de la lucrative entreprise de Madame, elle découvre l’envers d’un système qui l’a bernée.
Megan Northam et Lubna Azabal sont remarquables dans un drame sur le calvaire de celles ayant rejoint les rangs de Daech et qui ont été souvent réduites en esclaves sexuelles. Servitude volontaire, embrigadement, asservissement, résilience et émancipation sont explorés dans Rabia. Le long métrage est une fiction mais il a valeur de document : il illustre les raisons qui poussent des jeunes femmes à s’infliger le pire alors qu’elles souhaitaient une vie meilleure. À l’instar du film Les Chevaux de Dieu (2012) de Nabil Ayouch, le long métrage de Mareike Engelhardt dissèque les phénomènes de radicalisation et d’embrigadement que les djihadistes ont orchestré partout dans le monde.