Copyright Condor Distribution
APPRENDRE
Plus de trente ans après son incroyable documentaire dans la cour de récréation d’une école maternelle, Claire Simon s’invite cette fois entre les murs d’une classe élémentaire. Un bijou.
Dans Apprendre, un film aussi clair, simple et puissant que son titre, Claire Simon pousse les portes des salles de classe d’une école élémentaire d’Ivry-sur-Seine, ville du Val-de-Marne limitrophe de Paris.
Entre les murs de cet établissement, la cinéaste nous fait partager le quotidien des enfants, les petits rituels, les apprentissages, le partage, les disputes, les échanges et les relations avec les maîtres et les maîtresses.
La cinéaste avait exploré le corps des femmes dans Notre corps, un passionnant documentaire réalisé à l’hôpital sur « l’épopée des corps féminins ». Entrer une caméra dans une école n’est pas une première pour la réalisatrice, qui avait déjà posé la sienne en 1991 dans la cour de récréation d’une école maternelle (Récréations, 1992).
Avec sa caméra légère, « comme un appareil photo », la réalisatrice saisit tous ces petits moments, cette vie qui se déroule dans un huis clos où les enfants et les adultes partagent la même mission : apprendre. Apprentissages scolaires, mais aussi apprentissages d’une vie en commun, de partage, de respect, de réflexion sur le monde qui les entoure.
La réalisatrice place sa caméra à hauteur d’enfant, et nous fait entrer comme des petites souris dans cet espace habituellement fermé aux regards extérieurs. Le film donne au spectateur le sentiment d’entrer sur la pointe des pieds dans ce temps secret, qui occupe une part si importante dans la vie des enfants, de ces êtres en devenir. « Je voulais qu’ils me tolèrent comme une invitée », confiait la réalisatrice dans un entretien à franceinfo Culture lors du Festival de Cannes où le film était projeté en Séance spéciale en mai 2024.
Dans cette école, comme dans bien des écoles, les enseignants effectuent avec patience le travail qui leur est confié dans ce microcosme préservé, un pilier de la République. « Les maîtres et les maîtresses sont des civilisateurs », affirme la réalisatrice. « Et il y en a peu dans notre société, si on regarde bien, des civilisateurs. On devrait tous leur donner la Légion d’honneur et doubler leurs salaires », estime la réalisatrice.
Le cinéma de Claire Simon n’est pas un cinéma qui problématise, mais qui saisit la vie. Une réalité qu’elle donne à voir au spectateur à travers son propre regard, attentif, méticuleux, généreux. Pas de commentaires, pas d’interviews, à peine une ou deux questions qui surgissent dans un murmure. On ne parle pas des conditions de travail. On ne parle pas de manque d’effectifs, de difficultés à intégrer les enfants en situation de handicap ou de laïcité. On le voit à l’œuvre. « Ça parle tout seul », souligne Claire Simon.
Captation du vivant
Ici, pas de discours, pas de revendications, tout se déploie sans forcer, dans la captation du vivant. Claire Simon sait, avec sa caméra, saisir ces moments qui deviennent comme des petites scènes de théâtre, où chacun joue son rôle. Mais ce qui frappe surtout, c’est comment dans ces classes, entre les enfants, circulent toutes les problématiques qui traversent la société, sans qu’il y ait besoin de les mettre en scène.
C’est aussi la structure sociale, et ses rapports de force qui sont mis ici en lumière, à travers notamment l’irruption dans l’école d’une classe d’un lycée parisien. Ils sont là pour partager avec les petits Ivryens un moment de musique. Très vite, on demande aux enfants d’Ivry de s’arrêter de jouer pour « mieux entendre » ceux qui savent faire… Une jeune fille se met à jouer La Truite de Schubert avec virtuosité. La caméra navigue sur les visages de ceux qu’on a fait taire. Tout est dit.