Copyright Jean-Louis Fernandez

NOUVELLE VAGUE

Richard Linklater est joueur. On le connaît pour ses paris à rebours de l’industrie : filmer la durée plutôt que l’instantané, faire confiance au temps et aux gens. La trilogie Before prenait le pouls d’un couple tous les neuf ans. Boyhood, couronné de prix, a été filmé sur douze ans — preuve que la patience peut être un geste radical. Avec Nouvelle Vague, Linklater traverse l’Atlantique pour non pas « faire » du Godard, mais le faire revivre, purement et simplement.

 

Dès le générique, le film s’impose comme une machine à remonter le temps, ou plutôt, non : une machine à plonger dans un inconnu pourtant familier. L’immersion est spectaculaire. Noir et blanc, cadre serré (le fameux 1.37), voix et cadence d’époque — 1959 s’invite en 2025 sans cosplay. La reconstitution n’est jamais fétichiste : elle vise la sensation. On entend les chaussures qui glissent, la ville qui respire, l’équipe qui se cherche. On voit comment une forme naît d’une logistique, d’un état d’esprit, d’un alignement fragile, pour recréer les conditions d’une liberté.

Rappel feutré mais décisif : Jean-Luc Godard est alors critique aux Cahiers du cinéma (les « cahiers », pour ceux qui savent). François Truffaut et Claude Chabrol aussi, mais ils sont passés derrière la caméra, eux, alors que Godard se heurte à la méfiance des producteurs. Après le triomphe des Quatre Cents Coups, un traitement de Truffaut devient le “passeport” permettant à Godard de passer au long. À Bout de souffle est donc une clé tendue d’ami à ami, mais aussi une condition sine qua non pour que le critique devienne cinéaste.

Plutôt que d’imiter la grammaire Godard, le réalisateur éminemment cinéphile l’honore et, surtout, rejoue la méthode : tournage léger, ville ouverte, goût de l’essai et du risque, équipe resserrée où chacun compte. Nouvelle Vague donne envie, déverrouille, désasphyxie. On sort avec l’envie de (re)voir À bout de souffle, oui, mais surtout avec celle de comprendre comment ce choc a été rendu possible — et comment le réalisateur est parvenu à s’offrir, à nous offrir, une telle liberté.

 

Linklater engage tout : sa signature, son inventivité, sa pratique. Tourner en français, accepter de se mesurer à une mémoire collective, travailler avec des visages neufs (à l’exception de Zoey Deutch et Alix Benezech), acteurs comme techniciens, et demander à chacun.e d’y croire. Noir et blanc, format 1.37, économie de moyens, précision du son et du montage, rien qui camoufle, tout qui révèle. C’est une éthique plus qu’un style. Tout ici repose sur la confiance – du directeur de la photographie (être au plus près mais laisser respirer), des équipes de montage et de son. Ce qui habite le film, et nous face à l’écran, c’est la confiance dans le collectif : la révolution formelle est une décision d’équipe.

Quant à l’interprétation, elle est miraculeuse, grâce à des jeunes comédiens qui n’icônisent pas. On ne “joue” pas Godard, Seberg, Belmondo : on les approche à hauteur d’humain, dans ce moment fragile où personne ne sait encore qu’À bout de souffle deviendra un totem. On découvre ainsi un Godard impertinent, oui, provocateur parfois, mais joyeux aussi. Cette joie — rare dans les reconstitutions — contamine le cadre. Elle fait tomber les défenses, elle nous fait rentrer dans cette bande de potes qui ne savent pas encore qu’ils vont changer l’histoire du cinéma.

Nouvelle Vague ne cherche pas à être Godard : il regarde comment Godard advient. Richard Linklater signe un film inattendu, jubilatoire, et assez vivant pour donner envie d’aimer, d’apprendre, et, pourquoi pas, soyons fous, de tourner.

(Mary Noelle Dana, Bande à Part, publié le 08/10/2025)

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