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MARIA

Grandeur et décadence d’une comédienne importante, révélée par Le dernier tango à Paris de Bertolucci, tel est le propos de ce biopic passionné qui vient à point nommé en pleine période de révélations d’agressions sexuelles dans le milieu du cinéma.

 

Quand on regarde aujourd’hui Le dernier tango à Paris, le spectateur a l’impression de se retrouver devant un classique gigantesque du cinéma, loin des scandales que le film a générés à sa sortie. En réalité, plus que le scandale, Jessica Palud décrit la manière dont cette œuvre qui a révélé la comédienne, Maria Schneider, a conduit la jeune femme dans les excès de la drogue et de la domination masculine. Dans les années 1970, les réalisateurs étaient essentiellement des hommes, qui pouvaient utiliser la nudité de leurs actrices pour leurs propres besoins hédoniques davantage que pour la nécessité des récits. C’est ainsi que la comédienne, poursuivie par les colères douteuses du public et surtout hantée par les comportements délétères de Marlon Brandon et Bernardo Bertolucci, chute dans la consommation de drogues et le dégoût d’elle-même.

 

Maria, présenté au Festival de Cannes 2024, arrive à bon escient sur les écrans français, à un moment où de nombreuses comédiennes, et désormais de nombreux comédiens, révèlent les passages à l’acte sexuel, jusqu’aux viols, qu’ils ont subis de la part de metteurs en scène, producteurs ou d’acteurs importants. Pour autant, Jessica Palud ne se contente pas de victimiser son héroïne. Elle décrit le parcours complexe d’une adolescente, mise à la porte par sa mère au seul motif qu’elle ait repris contact avec son père célèbre, Daniel Gélin, et qui se débat contre ses démons et faillit aux sirènes de l’héroïne. Maria n’est donc pas seulement une œuvre militante. C’est un récit, teinté d’un esprit romanesque assumé, par une réalisatrice qu’on n’avait plus revue sur les écrans depuis Revenir en 2019.

 

La puissance et la gravité du film reposent pour l’essentiel sur l’interprétation magistrale d’Anamaria Vartolomei. La ressemblance entre la comédienne et Maria Schneider est saisissante, bien au-delà de ce regard noir et appuyé, ou de sa chevelure brune bouclée. Il faut noter que Jessica Palud refuse toute forme de nudité de la comédienne, dénonçant en effet dans son biopic, la manière dont la vraie Maria Schneider a été détruite par les rapports sexuels et les expositions de son corps forcés sur les tournages, au service soi-disant du scénario. Ce choix de mise en scène concourt à la possibilité d’un réalisateur de sexualiser une histoire, sans céder à la facilité du voyeurisme. On pense ainsi au long-métrage d’Abdellatif Kechiche La vie d’Adèle : chapitres 1 et 2 qui avaient durablement traumatisé les deux actrices principales, Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos, contraintes à des rapports sexuels réels devant la caméra, pas tant au bénéfice de l’histoire que des fantasmes du réalisateur.

 

Jessica Palud réalise un film ambitieux et documenté qui fait justice aux abus que Maria Schneider a subis. La mise en scène évolue dans un ensemble de partis pris esthétiques originaux. La réalisatrice a à cœur de faire évoluer ses personnages dans des costumes, des décors, une lumière et des couleurs très soignés. La dimension romanesque du long-métrage prend le pas sur le simple suivi du destin d’une actrice, disparue trop tôt en 2011 à tout juste cinquante-neuf ans. Elle offre un récit dense, aux échos tragiques, d’une héroïne que le désir tout-puissant d’hommes célèbres a durablement détruite.

 

Maria s’affiche comme une œuvre mature qui consolide le talent incontestable de Jessica Palud derrière la caméra. Avec elle, la réalisatrice porte aux firmaments Anamaria Vartolomei qui n’a pas fini d’émerveiller les spectateurs avec cette manière si précieuse d’absorber la lumière et d’interpréter la détresse d’une femme. On repense à toutes les œuvres où la comédienne a participé, comme L’évènement d’Audrey Diwan ou plus récemment L’Empire de Bruno Dumont, qui démontrent sa capacité à jouer des rôles très différents.

 

Voilà donc un film important, raconté sans brutalité, mais avec la fièvre et la verve d’une écrivaine des sentiments confus. Maria parlera à tous ceux et toutes celles qui aiment les actrices, d’autant plus quand elles sont révélées par l’incandescence de leur talent, et moins la volupté de leurs formes.

 

(Laurent Cambon, Avoir à Lire, publié le 23/06/24)

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