Copyright Christine Plenus
JEUNES MÈRES
En compétition à Cannes, ce film choral suit les destins d’adolescentes en maison maternelle. Un inventaire bouleversant de la tristesse du monde et de ses consolations.
Le Fils (2002), L’Enfant (2005), Le Gamin au vélo (2011) : c’est toujours au singulier que les frères Dardenne ont accordé la question de la progéniture – et même à un singulier solennel, mystique, chrétien. Voici donc l’entrée, et ce n’est pas qu’une question de syntaxe, du pluriel dans leurs titres. Jeunes Mères est leur premier film choral. On y suit le parcours d’une poignée d’adolescentes de part et d’autre d’un pas si heureux événement (certaines ont accouché, d’autres pas encore) qui va projeter leur vie dans un grand inconnu de responsabilité, d’amour tout de même et de misère potentielle surtout, épaulées par des services publics maigrelets, grevées par les fardeaux qui leur sont propres.
Le passage au collectif est plus qu’un changement de focale, c’est une quasi-rupture épistémologique pour les Dardenne qui, se faisant, renoncent à faire de Jeunes Mères un cas d’étude moral, chevillé à un personnage dont le libre arbitre serait la force motrice du récit face à une série de mises à l’épreuve et de dilemmes. Malgré des variations, les frères n’avaient en douze films jamais vraiment quitté ce dispositif. Or ici, les jeunes mères ne sont pas les protagonistes d’un conte cruel et réaliste, ponctué d’intersections claires, mais les visages d’un fait social diffus, que le film s’attache à dépeindre en abandonnant presque intégralement l’outil narratif de l’arbitrage éthique. Même le cas d’une mère envisageant de faire adopter sa fille ne leur inspire aucune scène d’hésitation : une sorte d’intuition naturelle, expéditive, gouverne la décision.
Qu’elles soient addicts ou victimes d’une famille toxique, alcooliques ou simplement isolées sans ressources, le héroïnes de Jeunes Mères sont comme engluées dans une fatalité qui est devenue la seule modalité d’organisation du réel. Ce n’est pas forcément que la fatalité du malheur : un père peut revenir, un appartement, se libérer. Mais ces événements n’apparaissent plus comme des sanctions morales de leurs choix, simplement comme des manifestations du chaos de la vie.
Alors, est-ce une bonne nouvelle pour le cinéma des Dardenne ? De prime abord, on peut penser que non, éprouver un sentiment de survol distancié, presque de film-dossier, souhaiter que le récit se concentre sur un personnage en particulier et ralentisse le défilement. Mais rapidement, il se révèle tellement bouleversant qu’on ne saurait raisonnablement maintenir ce doute. Jeunes Mères regarde, sans mysticisme aucun, ni sadisme bien évidemment, le malheur se produire : il fait l’inventaire de la tristesse du monde et de ses consolations. Donner son bébé à l’adoption, céder à la tentation de la drogue, s’en sortir grâce à l’aide d’une grande sœur : face à tous ces événements, Jeunes Mères semble nous dire, avec beaucoup de sagesse et de beauté, que “cela arrive”.