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ET LA FÊTE CONTINUE !
Dans ce nouveau film, Robert Guédiguian réunit autour de la famille la substantifique moelle de son cinéma, de ses convictions, et de son engagement.
Quatre ans après avoir peint un monde désenchanté dans Gloria Mundi, sorti en 2019, le réalisateur marseillais d’origine arménienne Robert Guédiguian revient avec Et la fête continue ! Un film sur la transmission, qui renoue avec l’émerveillement et la foi en l’humanité, malgré les désillusions.
Rosa s’appelle Rosa parce que Rosa Luxembourg. Antonio, son frère, Antonio parce qu’Antonio Gramsci. Ces deux-là, frère et sœur, la soixantaine, ont grandi auprès d’un père engagé au Parti communiste, et ils défendent chacun à leur manière les valeurs qu’il leur a transmises.
Antonio, chauffeur de taxi, est un séducteur invétéré, mais il vient en aide à ceux qui en ont besoin, même si la demande tombe en pleine nuit. Rosa, infirmière à l’hôpital, veuve, vit seule, mais ses deux grands fils ne sont jamais loin. Minas, médecin, soigne les migrants dans les centres de rétention. Sarkis est le patron du bar arménien et QG de la communauté arménienne de Marseille, tenu par les hommes de la famille de père en fils. Il est amoureux d’Alice, cheffe de chœur et militante dans une association de défense des mal-logés.
Les présentations d’Alice se déroulent chez Rosa, dans son appartement qui donne sur le Vieux-Port de Marseille, autour des pâtes aux anchois, le plat fétiche de la famille. Sarkis et Alice, Antonio et sa colocataire, Minas avec sa femme et ses filles… Tout le clan est réuni pour accueillir la jeune femme. Ne manque que le père d’Alice, qui ne tarde pas à montrer le bout de son nez à Marseille.
Libraire, retraité désœuvré, il est bien décidé à rattraper le temps perdu avec sa fille, qu’il a toujours négligée au profit des livres et de la littérature. Son retour est accueilli froidement par la jeune femme, qui lui en veut et préfère occuper son temps à la chorale qu’elle dirige ou bien à aider les mal-logés de la cité phocéenne. Esseulé, Henri se rapproche de Rosa, en pleine campagne des municipales, qui tente de rassembler les différents courants de la gauche et les écologistes, obsédés par leur tête de liste…
« Il n’y a plus de communistes »
Déployé sous l’égide d’Homère, et plus largement de la littérature, très présente, ce nouveau film de Robert Guédiguian réunit une fois encore toute sa famille de cinéma, d’Ariane Ascaride à Jean-Pierre Darroussin, en passant par Gérard Meylan. C’est d’ailleurs le sujet de ce film. La famille. Celle dont on hérite, qui vient de loin, ici des confins de l’Arménie meurtrie par le génocide et à nouveau en péril. Celle de Marseille, qui se confond pour le réalisateur avec celle des Arméniens (« Ce sont les Arméniens qui ont fondé Marseille » lance Sarkis dans une boutade). Marseille, sa beauté et sa misère, que le réalisateur filme avec toujours plus d’amour. Mais aussi la famille que l’on se fabrique, et dont le ciment, chez Guédiguian, se cristallise autour des valeurs et des engagements.
Le réalisateur met en scène dans le microcosme marseillais les bagarres politiciennes de la gauche, qui désespèrent Rosa. « Votre tête de liste, vous l’aviez, elle vient de sortir » assène Henri aux militants de tous bords après une énième réunion stérile. Cette tête de liste, c’est Rosa qui finira par se lancer.
Si l’engagement politique est toujours au cœur du film, c’est cette fois avec une distance mi-amusée mi-nostalgique. Le réalisateur ne peut que constater : « Il n’y a plus de communistes ! Il en reste douze à Marseille ! », lâche Rosa à son frère. « Tu seras bientôt le dernier », ajoute-t-elle en éclatant de rire. Une blague qui résume l’effondrement des valeurs, figurée au sens propre par le drame de la rue d’Aubagne, cœur battant du film. « Comment survivre à l’effondrement et au vide, au sens le plus abstrait, le plus théorique… À l’effondrement de nos grands récits et au vide consécutif de nos modes de vie. Comment Homère peut nous raconter de nouvelles épopées. Sous quelles formes… », s’interroge le réalisateur.
« Le monde a besoin de toi »
Mais la lutte continue. Dans la rue, dans les associations, à l’hôpital, à l’école. « C’est la seule manière de faire de la politique », souligne Antonio. « Et c’est plus nous qui pouvons le faire », ajoute-t-il, comme un message adressé aux nouvelles générations destinées à prendre le relais. « Le monde a besoin de toi », confirme Rosa à sa jeune collègue Laetitia. Une filiation faite d’héritages, mais aussi d’adoptions, que ce soit en politique ou en famille, comme pour Sarkis, follement désireux d’enfants avec une Alice qui ne peut pas lui en donner.
Le cinéaste offre des moments de pure beauté, une valse nocturne sur une place entre deux amoureux au son du piano, un travelling très serré sur Rosa, enfant, collée à son père, tous deux filant dans le vent sur une moto d’un bureau de vote à l’autre, ou encore ce monologue de Rosa, la nuit, dans une piscine abandonnée ou dans un amphithéâtre de pierre, sous les yeux émerveillés d’Henri…