Copyright Institut Lumière
LUMIÈRE, L’AVENTURE CONTINUE
Dans un documentaire, Thierry Frémaux propose un éblouissant voyage aux sources du 7e art, cent trente ans après sa création.
Le 22 mars 1895, la première projection sur grand écran de l’histoire du cinéma, La Sortie de l’usine Lumière à Lyon de Louis Lumière, était organisée à Paris. À l’occasion du 130e anniversaire de cet événement considéré comme l’acte fondateur du cinéma tel que nous le connaissons et l’aimons, Thierry Frémaux, directeur de l’Institut Lumière et du Festival de Cannes, a concocté un somptueux cadeau à destination des cinéphiles de 7 à 77 ans, confirmés ou débutants. Dans son documentaire Lumière, l’aventure continue, il réunit une sélection de 120 mini-films, les fameuses « vues photographiques animées » tournées autrefois – au nombre total de 1 500 environ – par Louis, Auguste Lumière et leurs équipes, dans une superbe version restaurée.
Cet authentique recueil de trésors du Cinématographe (du nom de l’appareil inventé par Louis Lumière), constitue le deuxième hommage de Frémaux sous forme de documentaire à l’héritage en image des illustres frères, ingénieurs et inventeurs nés à Besançon et établis à Lyon, huit ans après la sortie de Lumière ! L’aventure commence (2017).
D’emblée, Thierry Frémaux pose le sujet, l’armature et l’habillage sonore de son exposé. Les films Lumière vont se succéder sous nos yeux, regroupés au fil d’une dizaine de chapitres. C’est le réalisateur, en tant que patron de l’Institut Lumière, qui commente les documents avec sa voix grave, un peu voilée. Il a choisi la musique sublime de Gabriel Fauré, compositeur contemporain des Lumière, pour illustrer ce fascinant voyage dans le temps.
Le film emblématique des productions Lumière, c’est bien sûr La Sortie de l’usine Lumière à Lyon. Thierry Frémaux nous rappelle à cette occasion qu’il en existe au moins trois versions, au moins trois prises – dont une, moins connue, où surgit une voiture à cheval – nous offrant des instantanés de la France au travail en 1895. Parmi les autres « vues » restaurées, la plupart méconnues, on en redécouvre de très célèbres comme L’Arroseur arrosé et L’Arrivée d’un train en gare de La Ciotat. Les Lumière, puis les techniciens qu’ils formèrent par la suite, ont gravé sur film toute une époque, arpentant plusieurs continents, de New York à Alger, en passant par le Japon.
Tout le cinéma moderne figure déjà chez les Lumière
Les vues Lumière ont immortalisé la famille Lumière elle-même, saisie dans la douceur du quotidien, quelques célébrités de l’époque comme l’humoriste Chocolat, et surtout d’innombrables anonymes, citadins, paysans, soldats, ouvriers, dont les regards tournés vers l’objectif nous interpellent. Les équipes Lumière ont filmé beaucoup d’enfants pour lesquels on se demande parfois comment ils ont traversé les conflits mondiaux survenus quelques années plus tard…
Chaque film des frères Lumière ne dépasse pas une minute. Mais chaque film des frères Lumière se suffit à lui-même. Frémaux nous dispense de tout effet superflu. Pas de fondu enchaîné entre les « vues Lumière » : chaque document nous est présenté dans son authenticité et sa beauté brutes, de la première à la dernière seconde, l’écran noir surgissant à la fin du mini-film. La majorité des vues des premières années fut réalisée par Louis Lumière. Mais le documentaire nous apprend que son frère aîné, Auguste, possédait également un œil de cinéaste qu’il n’a que (trop) rarement exploité.
Le propos de Thierry Frémaux, c’est de nous rappeler que toutes les bases du cinéma moderne résident déjà dans l’œuvre des industries Lumière : « Lumière et ses opérateurs se posent des questions de mise en scène, celles de milliers de réalisateurs qui viendront après eux : le rôle de la caméra, la force d’un sujet, l’idée d’un mouvement », explique-t-il dans le documentaire. De fait, le cinématographe subjuguera un certain Georges Méliès qui demandera – en vain – à en racheter le brevet à ses propriétaires, avant de se tourner vers un autre fournisseur et de donner une autre direction à son propre art…
Frémaux souligne, parfois avec humour, que tout ce qu’on peut aimer aujourd’hui figurait déjà dans les expérimentations des Lumière : le cinéma documentaire bien sûr, mais aussi la fiction – drame ou comédie –, et côté technique, tout un art de filmer que l’on savoure via d’éblouissants plans-séquences et travellings arrière, ou encore d’attendrissants « tournages de tournages »… On apprend enfin que les Lumière ont inventé les vidéos de chats !