LES ENFANTS VONT BIEN
Nathan Ambrosioni creuse son sillon et signe avec Les enfants vont bien un troisième long-métrage maîtrisé, juste et hautement sensible.
C’est un tabou majuscule : l’abandon volontaire d’enfants ne se conçoit pas, il ébranle nos fondations profondes, heurte l’âme de plein fouet. Le titre performatif de ce film, dont il forme le cœur, repose sur une dynamique inverse, celle que Jeanne (Camille Cottin) va devoir impulser lorsque sa sœur Suzanne (Juliette Armanet), mère célibataire à bout de souffle, lui laisse la charge de sa fille et de son fils en bas âge avant de disparaître. Tout l’enjeu du troisième long-métrage de Nathan Ambrosioni (Les Drapeaux de papier ; Toni, en famille) consiste à tisser de nouveaux liens entre une femme qui se pense dépourvue d’instinct maternel, son neveu et sa nièce, dont elle va devenir responsable par la force des choses.
Mené avec une grande délicatesse, ce récit donne à sentir, sans juger ses personnages, ce qu’induit la volatilisation d’une personne (15.000 cas sont recensés par an en France) sur son entourage. Par ses cadres aérés laissant une place pour l’absente et quelques fantômes familiaux, son montage cadencé, qui suit une pulsation cardiaque guidée par la sidération et l’attente, sa lumière aux reflets mélancoliques (signée Victor Seguin), Nathan Ambrosioni fait apparaître, doucement, délicatement, les nouvelles structures d’une famille réinventée.
Dans le rôle de cette tante propulsée soudainement au rang de parent, Camille Cottin fait merveille. Celle que nous avons découverte dans des rôles très réactifs (la véloce Andréa Martel dans la série Dix pour cent ou la frontale Connasse) incarne de plus en plus de personnages dont le courage s’exprime d’abord par la capacité à accueillir ce qui leur arrive avant de s’exprimer – celui de ce film, comme ceux de Rembrandt de Pierre Schoeller ou du Pays d’Arto de Tamara Stepanian (en salle le 31 décembre). Sa manière intime de nourrir ses silences, l’expressivité de son visage, sa voix arrimée dans les médiums se font les vecteurs d’émotions complexes, source de catharsis pour le spectateur.
À ses côtés, les jeunes Nina Birman et Manoâ Varvat épatent par la justesse de leur jeu et leur hyper-présence, rappelant la fratrie représentée par John Singer Sargent dans son portrait Les Enfants Pailleron – même crispation des nerfs dans certaines scènes, même intensité, même manière de prendre le jeune âge au sérieux.