Copyright Alpha violet
AU PAYS DE NOS FRÈRES
D’une grande beauté émotionnelle et visuelle, Au pays de mes frères traite de la question des migrants afghans en Iran sur deux décennies dans une langue aussi sensible qu’intraitable contre l’État iranien. Une splendeur.
Trois histoires, trois témoignages du phénomène mal connu en Occident des flux migratoires vers l’Iran depuis l’installation des Américains sur le sol afghan, où près de 4,5 millions de femmes et d’hommes ont fui les régimes tyraniques successifs et la pauvreté pour se retrouver, depuis les années 2020, dans une peur massive de se faire expulser par le régime des Mollah. Et pourtant, l’Afghanistan et l’Iran sont deux terres qui partagent une même histoire perse, avec des langues et des traditions assez proches, d’où ce titre d’emblée ironique, Au pays de nos frères. Car le film raconte une fraternité des plus ambiguës où les prétendus accueillants entretiennent avec les exilés des relations qui ont moins à voir avec un échange qu’une domination à proprement parler.
Trois personnages, un jeune étudiant en maçonnerie, une domestique et un vieux couple dont le fils a officiellement migré en Turquie, se partagent le film dans des moyens-métrages de durée similaire. Chacun témoigne à sa façon de la manière dont l’État iranien, voire sa population, entretiennent avec eux des relations teintées de domination et de pression, face aux risques qu’ils encourent de se faire expulser vers le pays d’origine. Les abus psychologiques, sexuels et sociaux constituent le quotidien de ces personnes, pourtant d’une grande gentillesse et dévotion à l’égard de celles et ceux qui les accueillent. La police n’hésite pas à user de son pouvoir pour faire travailler des jeunes hommes captifs dans leurs locaux, la seule issue étant de se casser la main pour recouvrir sa liberté. Des riches bourgeois font travailler des serviteurs dans le strict secret, afin qu’ils ne soient pas inquiétés par les autorités pour avoir logé des sans-papier. Et enfin, l’État lui-même n’hésite pas à envoyer en Syrie des jeunes gens sans espoir du fait de leur situation migratoire : il y succombent sous les bombes au mieux comme des martyrs, au pire comme de la simple chair à canon.
Le film est construit sur une tonalité profondément mélancolique. Ces trois destins sont sans espoir, contraints par une situation administrative précaire qui les oblige à se soumettre à toutes les formes de pouvoir. Le scénario demeure très ingénieux, jouant sur les hors-champ et refusant de brandir la bannière militante et révolutionnaire. Les deux réalisateurs laissent le spectateur se faire une idée sur cette tragédie où les gens sont condamnés à subir. Pour autant, le film ne succombe jamais à une victimisation à outrance des personnages principaux. Ce sont des personnes combatives, dignes, déterminées, qui tentent par tous les moyens de rendre leur existence supportable. L’amour, qu’il soit parental ou conjugal, s’invite aussi dans ce conte à trois voix qui s’illumine de ce miracle.
Les deux cinéastes font de la sobriété la marque de fabrique de leur œuvre. Pour une fois dans un film iranien, les larmes des protagonistes demeurent contenues, en dépit du drame qu’ils traversent. Le récit offre un panel de paysages très différents, qu’il s’agisse d’espaces désertiques, marins ou urbains, ce qui permet d’ailleurs de donner à voir la très grande multiplicité des paysages iraniens. L’important semble-t-il est d’apporter au récit une dimension supplémentaire, à travers ces lieux qui inspirent autant la poésie que des histoires à raconter. On est impressionné par la maîtrise de la mise en scène pour un premier film au cinéma. La photographie est très soignée, et la conduite d’acteurs tout autant aboutie.