Comme tous les ans, Ecran Large est présent au Festival International du Film de Saint-Jean-De-Luz, festival de référence pour les premiers et deuxièmes films. L’occasion d’assister à l’émergence de nouveaux auteurs, mais aussi de vivre quelques expériences au-delà du réel. Et Alma Viva en est une très belle.

De quoi ça parle ? C’est l’été et la petite Salomé le passe dans le petit village familial portugais perdu dans les montagnes. L’occasion pour elle de retrouver sa grand-mère, la « sorcière » de la communauté qui souhaite faire d’elle son apprentie. Mais la vieille femme meurt subitement, laissant ses enfants entre tristesse, colère et déchirement. La petite Salomé sera-t-elle la clé de ce drame ou le contraire ?

C’était comment ? Après une carrière déjà riche de théâtre, de documentaire et de courts-métrages, la réalisatrice Cristèle Alves Meira passe enfin au long-métrage avec ce film qui ne ressemble pas vraiment aux autres. La tentation du premier film se résumant régulièrement en un traitement autobiographique, au risque parfois de s’y enfermer, Alma Viva prouve rapidement que son autrice sait jouer sur plusieurs tableaux à la fois.

Oui, le récit est clairement inspiré de sa propre jeunesse. C’est un vrai film de famille, de clan, d’ailleurs tourné là où elle passait ses vacances étant enfant. Oui, sa propre fille, Lua Michel, 9 ans à l’époque du tournage, tient le rôle principal de la petite Salomé. Mais, non, Alma Viva ne commet jamais l’erreur de ne se limiter qu’à ça parce que la réalisatrice a beaucoup de choses à dire sur la vie en communauté, l’isolement campagnard, les traditions un peu désuètes et les mauvaises habitudes qui ont la vie dure.

On s’étonne d’ailleurs, dans un sens plus que positif, de la facilité avec laquelle elle parvient à mélanger tout cela sans oublier de convoquer l’émotion nécessaire au bon fonctionnement de son oeuvre. Et ça marche, beaucoup même. Après une exposition un peu longuette, le film décolle enfin, trouve son rythme, approfondit ses personnages par petites touches toujours très bien senties et ne détourne pas le regard face à un fantastique qui tutoie toujours la frontière du doute.

Quoi de mieux en effet qu’un deuil compliqué et soudain pour aborder cette thématique ? Cristèle Alves Meira en appelle ainsi à une image ancestrale passée depuis longtemps dans l’inconscient collectif, à savoir celle de la sorcière (mais pas au sens de celles de Hocus Pocus) pour exciter ses personnages, révéler leurs zones d’ombre ainsi que tous les conflits qui ne faisaient que dormir dans les profondeurs de cette communauté festive en apparence, mais bassement humaine en profondeur.

Et au milieu, il y a Salomé, innocente, aimante, fascinée par sa grand-mère au point de vouloir lui ressembler, qui découvre peu à peu le prix à payer pour devenir une « sorcière » comme elle alors même qu’elle est obligée de grandir d’un coup pour supporter la génération précédente, effondrée par la disparition de la matriarche.

Sous ses allures de petit film, Alma Viva est en fait bien plus complexe qu’il n’y paraît à la base et c’est ce qui en fait un véritable objet de fascination lorsque la magie s’en mêle et que la réalisatrice lui dédie quelques scènes perturbantes et envoûtantes qui ne sont pas loin de nous faire basculer dans le pur film d’horreur.

Mais, consciente de l’objectif qu’elle s’est fixé, elle n’oublie jamais les personnages qu’elle embarque dans quelques visions étranges dont l’ambiance nous rappelle de loin Alejandro Jodorowsky, ni l’histoire qu’elle veut raconter : celle d’une famille éclatée, déconnectée de son propre sang et de son pouvoir, qui doit apprendre dans la douleur à renouer le dialogue pour offrir le repos éternel à celle qui les a tous fait naître. Poignant et bouleversant par instants, Alma Viva est un très grand premier film.

(Christophe Foltzer, Écran Large, publié le 06/10/2022)