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LEURS ENFANTS APRÈS EUX
À la fois fable sociale, traversée du temps à la fin des années 90, roman sentimental, Leurs enfants après eux constitue l’un des plus grands films français de cette année 2024, porté par un Paul Kircher au firmament de son art.
C’est l’été 1994. Les insectes s’accrochent à la paroi poisseuse d’un étang de l’est de la France. Deux adolescents s’ennuient. Ils rêvent de filles, de la promesse d’un avenir, jusqu’à ce que l’idée leur prenne de dérober une barque et de rejoindre un autre bout de la rivière où les vacanciers ont l’habitude de bronzer nus. On est au début d’une immense aventure sentimentale et sociale, racontée à la façon d’un certain Gustave Flaubert, où l’apparition de Madame Arnoux ne quittera plus le cœur du héros en quête d’émancipation. En quelques minutes, nous voilà plongés dans une sublime étirée dans le temps où se mêlent les musiques qui ont fait le charme et la grandeur des années 90, le désarroi des familles de l’est de la France décimées par l’effondrement des industries, le racisme et la modernité naissante dans une France encore préservée de l’Internet et des téléphones mobiles.
Dire que Leurs enfants après eux est un grand film est un euphémisme. Plus qu’une œuvre flamboyante, le long-métrage témoigne d’une époque, pas si éloignée de la nôtre, dans les pas du roman prix Goncourt de Nicolas Mathieu, où l’adolescence était emparée des mêmes tourments, des mêmes espérances, sinon qu’il n’y avait pas encore les réseaux sociaux pour leur donner l’illusion d’une existence complète. On a oublié le chômage de masse qui ravageait le pays, à commencer les contrées de Lorraine où les mines de charbon une fois éteintes n’avaient laissé place qu’à du vide et des perspectives d’avenir minuscules. Pour autant, les deux réalisateurs refusent de dresser un pamphlet social brutal. Le film est d’abord la mise en perspective d’un récit initiatique où les amours se font et se défont, et les adolescents cherchent à se trouver une place et une raison d’être au milieu d’adultes aussi maladroits qu’attachants.
Leurs enfants après eux offre à Paul Kircher l’opportunité de donner à voir l’étendue de son talent incroyable d’acteur. Jusqu’à présent, on n’avait vu le jeune comédien s’immiscer seulement dans les traits d’adolescents ou d’enfants timides, assez répétitifs d’un film à l’autre. Cette fois, il incarne un personnage d’une très grande complexité où tressaillent, dans les yeux et l’âme, l’immensité et la fragilité d’un garçon qui tente de se construire un futur sentimental et social. Les amitiés accompagnent ce destin avec toutes ces musiques qui ont fait battre le cœur de cette décennie.
Tous les personnages secondaires apportent à cette fiction une dimension supplémentaire. Les parents du protagoniste témoignent de personnes perdues, abruties par l’alcool et les violences conjugales, ce qui ne les empêche pas d’aimer leur enfant unique et de désirer le meilleur pour lui. Et il y a tous ces gamins qui traversent le récit, à commencer la jeune fille dont Anthony tombe amoureux et dont il ne parvient pas à se défaire. Les acteurs semblent emportés dans la fluidité d’une mise en scène où l’art du cinéma s’estompe au bénéfice de celui du roman et les émotions s’impriment sur l’image de façon miraculeuse.