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MADAME HOFMANN

Le documentariste signe un nouveau long-métrage dans lequel il accompagne les derniers mois d’une cadre infirmière à l’hôpital Nord de Marseille.

 

Après avoir brossé le portrait de deux jeunes filles dans Adolescentes, ou de Sasha, né garçon, se vivant comme une petite fille depuis l’âge de 3 ans dans Petite fille ou encore Bambi, figure mythique des cabarets parisiens dans les années 1960, Sébastien Lifshitz signe un nouveau très beau portrait de femme, celui d’une cadre infirmière pendant 40 ans à l’hôpital Nord de Marseille, quelques mois avant son départ en retraite. […]

 

Quand le film commence, Sylvie Hofmann cadre infirmière dans le service d’oncologie de l’hôpital Nord de Marseille, affronte avec son équipe le Covid. Elle court après les blouses, se bat pour garder ses effectifs qu’on essaie sans arrêt de lui « piquer » pour d’autres services, se noie dans les démarches administratives quand ses patients ont besoin de soins et de présence humaine. Il faut désinfecter, et accueillir la mort, que le film montre sans rien éluder.

 

Dans cette période de crise, il faut aussi gérer la douleur des familles dans un contexte de contraintes sanitaires sévères. Dans les couloirs, un fils exprime sa colère parce qu’on lui dit qu’il ne pourra pas enterrer sa mère au pays selon les rites funéraires de sa religion. Ça aussi, Sylvie doit le gérer.

 

Depuis peu, elle a perdu l’audition d’une oreille, une conséquence du « surmenage », suggère un médecin qui l’ausculte. Sylvie n’arrête pas. Entre le travail à l’hôpital et sa vie personnelle – une maman de 85 ans qui se bat avec une nouvelle récidive d’un cancer avec lequel elle vit depuis plus de 20 ans, sa fille, son petit-fils – elle n’a pas une minute à elle. Le Covid est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. C’est décidé, elle va partir à la retraite.

 

« Tu te construis une carapace »

Le film suit le quotidien de Madame Hofmann dans sa vie professionnelle, dans un service d’oncologie qui compte chaque jour ses drames, mais aussi sa bonne humeur, en grande partie portée par cette cadre au caractère bien trempé, une « seconde maman » qui ne compte ni son temps ni son énergie pour accompagner au mieux les patients, leurs familles, et soutenir son équipe.

 

Dans ce service qui côtoie la mort au quotidien, on sait aussi se poser pour échanger, se soutenir mutuellement, en mangeant du « fromage qui pue », en parlant de l’amour, de la vie, ou en mimant une danse des cocktails en préparant les remèdes des malades, une manière de conjurer la mort, ou du moins de la supporter.

 

La caméra surprend aussi l’équipe à sourire, mais pas tant que ça, de cette histoire de mouche annonciatrice d’un décès à venir. En attendant, parce que le service de Sylvie est aussi un service de soins palliatifs, on masse, on rassure, on cajole, autant que possible avec le peu de moyens mis à disposition.

 

Aux yeux de son équipe et des médecins, Madame Hofmann apparait comme un roc, toujours debout dans la tempête. Mais en présence de la caméra, l’infirmière tombe le masque et dévoile peu à peu ses failles, à travers les échanges avec sa mère ou dans les moments paisibles avec son mari, avec qui elle peut se lâcher, ou encore dans des confidences adressées à la caméra : derrière la façade,« intérieurement, tu te détruis, à l’intérieur, tu es en autodestruction », confie-t-elle. « Alors, tu te fabriques une carapace. J’ai tenu 40 ans, alors il valait mieux qu’elle soit dure, cette carapace. »

 

« Métier de merde »

À travers son expérience, c’est aussi un système malade que nous montre ce film. Un système qui tient encore debout grâce à l’engagement et à la ténacité des personnels soignants. Manque de personnel, manque de lits, manque de matériel. C’est au détour des conversations ou au hasard des scènes du film que se dévoile la réalité d’un hôpital à bout de souffle. « C’est une très mauvaise nouvelle », déclare le médecin-chef quand Sylvie lui annonce qu’elle va partir à la retraite, avant de lui suggérer sans rire de « reporter son départ ». Quelques semaines plus tard, Sylvie fêtera l’événement dans une joie juvénile mêlée à la tristesse de quitter ce « métier de merde » qu’elle aimait tant, au fond.

 

Outre sa carrière professionnelle, le film retrace une vie, personnelle et intime, dont le travail n’est jamais complètement absent, mais aussi inscrite dans l’itinéraire d’une famille, d’une lignée de femmes. Sylvie remonte le temps en ouvrant avec sa mère l’album de famille, en regardant et en commentant les photographies de son enfance, de sa jeunesse, et de celles de sa mère, immigrée venue d’Italie, qui parle un marseillais fleuri, ornementé d’images et d’expressions qu’on dirait tout droit sorties des films de Pagnol.

 

Comme à son habitude, Sébastien Lifshitz filme ce quotidien avec des images d’une grande beauté. Il intercale dans la folie du quotidien des séquences silencieuses (illustrées d’une musique parfois un peu trop présente), moments suspendus dans cette course incessante, instants de pause dans cette fuite en avant qu’est la vie, qui a filé si vite, constate Sylvie. Car ce très beau film nous parle aussi du temps qui passe, et de ce qui fait la valeur d’une vie. Celle de Madame Hofmann est exemplaire.

(Laurence Houot, FranceInfo Culture, publié le 07/04/2024)

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