Copyright 2025 INCOGNITO PICTURES – SUPERMOUCHE PRODUCTION – STUDIOCANAL – Jean-François Hamard

CONNEMARA

Cette superbe adaptation d’un roman de Nicolas Mathieu émeut en évoquant le passé et l’amour torpillé par les différences de milieu.

La rencontre entre le romancier Nicolas Mathieu et Alex Lutz semble avoir été touchée par la grâce. Connemara, adaptation du livre éponyme sortie chez Actes sud en 2022, a enchanté le Festival de Cannes où il a été présenté en avant-première. « J’ai été ébloui par la finesse d’écriture de Nicolas Mathieu, par son acuité et son sens de la nuance, confie Alex Lutz à 20 Minutes. Il a un sens du portrait dont je me sens proche. Il aime les gens et cela se sent ».

 

Cette histoire d’amour réunit une quadragénaire revenue dans ces Vosges natales après un burn-out et un ancien ami qu’elle a connu au lycée. Elle était alors amoureuse mais tous deux ont changé au fil des années. Mélanie Thierry et Benjamin Bouillon, tous deux excellents, incarnent les rôles principaux de ce très beau film. « Cela parle de la grande histoire des hommes et des femmes, enfin de l’humanité, mais par la petite histoire, par la petite porte, sans que ça soit misérabiliste », précise Alex Lutz.

 

Un passé qui colle à la peau

Le retour au pays et une possible seconde chance amoureuse dessinent un itinéraire douloureux teinté d’une puissante mélancolie. « Le livre convoque la possibilité du souvenir, insiste le réalisateur. J’ai essayé de retrouver ce sentiment par évocation, de montrer que le passé surgit de temps en temps de manière incongrue, même sur des souvenirs parfois un peu étranges. Je souhaitais que cela soit organique ». Cette immersion dans le passé de ses personnages par détails interposés fait partager l’existence des personnages dans ce qu’ils ont de plus intimes.

 

« J’ai articulé le film autour de trois corps, le corps social, le corps en devenir des adolescents, et ce que j’appelle le corps « devenu », ce qu’ils sont finalement devenus », insiste Alex Lutz qui jongle entre passé et présent avec sensibilité mais sans aucune nostalgie. « On est constitué du passé dont se souvient, dit-il. C’est un sujet qui m’a toujours passionné ». Et qu’il aborde aussi dans son merveilleux spectacle Sexe, drogue et rocking-chair, actuellement en tournée avant une reprise à Paris en 2026, où il évoque le décès de son père.

 

Sensuel et pudique

« Tout se rejoint dans mon travail. La thématique de Connemara a même des points communs avec les sketches de Catherine et Liliane, explique le réalisateur. Elles étaient aussi des femmes dans un entre-deux temps. Leur histoire était aussi une histoire de temps. Elles essayaient de prendre le train de leur époque sans toujours y parvenir mais avec bonne volonté ». Le couple de Connemara est aussi écartelé entre deux modes de vie et deux classes sociales : la jeune femme qui a réussi en ville ne peut jamais se reconnecter totalement avec son amant qui n’a jamais quitté leur région. L’amour ne suffit pas à sauver une relation qu’on devine condamnée dès que les feux de la passion s’atténuent.

 

Les sentiments exacerbés et leur déclin délicat ne sont jamais montrés de façon impudique tout en gardant une tendresse palpable tant dans le bonheur que dans le chagrin. « Je dois beaucoup à ma cheffe opératrice Éponine Momenceau, confie Alex Lutz. Elle danse avec les interprètes comme dans une chorégraphie charnelle. Elle a une façon d’envelopper les corps qui exclut l’impudeur pour faire de ses images un objet artistique. Sa façon de filmer est un ballet ».

Le Grand Est est aussi un personnage à part entière de Connemara. Ses paysages sauvages et ses villages enveloppent les personnages dans un cocon. « C’est ma région, un peu de mes globules, il aurait été impossible que le film se fasse ailleurs. J’ai aussi l’impression de raconter un peu l’histoire de ma famille » , reconnaît Alex Lutz.

 

Une chanson épique

On n’est peut-être pas si loin du Connemara, région d’Irlande que célèbre Michel Sardou dans la chanson qui a donné son titre au livre et au film. « C’est incroyable le pouvoir que peut avoir une chanson populaire, elle vous fait vivre des choses intenses peu importe que vous l’aimiez ou non. Elle vous colle à la peau même si vous la détestez. On ne la ressent jamais de la même façon tout au long de notre vie ». Il n’a donc jamais imaginé changer de titre pour le film. « Connemara fait rêver parce que ce mot convoque tout de suite des images de voyage, commente Alex Lutz. Même si ce qu’on imagine est faux, la chanson a un côté épique, comme un appel à l’aventure ». Celle que fait partager son film est douce et cruelle à la fois. C’est très beau. Tout simplement.

(Caroline Vié, 20 Minutes, publié le 13/09/2025)

Écrire un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *