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YURT

Un premier long métrage prodigieux sur les ravages de l’intégrisme religieux et un portrait tout en nuances des affres de l’adolescence. Ce coup d’essai est un coup de maître !

 

Yurt est le premier long métrage de Nehir Tuna, qui a étudié le cinéma aux États-Unis après un cursus de commerce en Turquie. Disons-le d’emblée : le film est un véritable choc narratif et visuel. Sa dénonciation de l’intégrisme religieux est dans la lignée de plusieurs œuvres marquantes, du Disciple de Kirill Serebrennikov (catholicisme) aux récentes Chroniques de Téhéran de A. Asgari et A. Khatami (Islam), en passant par Le procès de Viviane Amsalem de R. et S. Elkabetz (judaïsme). En même temps, Yurt confirme la vitalité du jeune cinéma turc qui a donné ces derniers temps des titres majeurs, comme Burning Days d’Emin Alper. Le métrage n’en demeure pas moins singulier. Basé sur une trame autobiographique, le récit relate les déboires d’Ahmet, un tout jeune homme (Doğa Karakaş, une révélation) pris dans un dilemme terrifiant. Ce bon élève de quatorze ans, fils d’un couple de la bourgeoisie turque, doit satisfaire le désir de son père d’intégrer un pensionnat religieux ce type « yurt ».

 

Le paternel est en pleine prise de conscience de radicalisme religieux et souhaite en effet que le fiston reçoive une éducation pieuse dans ce qui est en fait un dortoir où se répand le poison de l’islamisme. Pourtant, dans la journée, Ahmet est scolarisé dans une école laïque et ouverte, fidèle aux préceptes de Mustafa Kemal Atatürk, où il se sent davantage dans son élément, avec cours d’anglais dispensés par une enseignante exigeante mais bienveillante, et présence d’une nouvelle élève auquel il n’est pas insensible… Comment le jeune homme va-t-il pouvoir concilier volonté de ne pas décevoir son père et nécessité de suivre son libre arbitre ? La situation se complique encore quand Ahmet lie une amitié ambigüe avec Hakan (Can Bartu Aslan), un camarade de dortoir issu de milieu modeste. Yurt est narrativement passionnant tout en proposant un portrait tout en nuance de l’adolescence, dans un contexte d’oppression religieuse et de lutte des classes.

 

Le réalisateur a ainsi précisé dans le dossier de presse : « Le film retrace ce conflit social et culturel, à travers les yeux d’un jeune homme qui n’en perçoit et n’en comprend qu’en partie les tenants et les aboutissants – mais dont il souffre au quotidien. En effet, Ahmet se trouve à cheval entre ces mondes. Il fréquente une école kémaliste, élitiste et mixte, mais son père l’a envoyé vivre dans un foyer (« Yurt », le titre du film, qui signifie aussi « pays ») lié à la communauté religieuse dont il est adepte, avec laquelle il fait aussi des affaires. Pour Ahmet, ce malaise religieux et culturel se double d’un malaise social, car, issu d’un milieu aisé, il est socialement plus proche de ses camarades de classe que de ses compagnons de foyer, qui le considèrent comme un nanti ». Le film regorge en outre de beautés visuelles, à l’instar de ces brèves séquences oniriques sur fond de Vivaldi ou de pulsions érotiques, ou encore de cette escapade hallucinante en ville puis dans une forêt, qui voit d’ailleurs le passage du noir et blanc à la couleur (symbole de l’espoir ou de la désillusion ?). Présenté dans plusieurs festivals (la Mostra de Venise, mais aussi Marrakech, Sofia, Göteborg ou Saint-Jean-de-Luz), Yurt est un petit bijou à ne pas manquer.

 

(Gérard Crespo, Avoir à Lire, publié le 02/04/2024)

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