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LA CONFÉRENCE

Fondé sur le procès-verbal de cette réunion restée secrète pendant des lustres, « La Conférence » est au plus près de la réalité des débats qui s’y sont déroulés.

 

La conférence de Wannsee, rien que la conférence de Wannsee. Pour réaliser La Conférence, le réalisateur allemand Matti Geschonneck a pris comme source principale le procès-verbal des échanges qui ont duré 1h48 (l’exacte durée du film), établi par Adolf Eichmann, chargé des « affaires juives et de l’évacuation » durant la Seconde Guerre mondiale. L’objectif de cette « réunion suivie d’une collation » : organiser la déportation et l’extermination des onze millions de Juifs estimés en Europe.

 

Conseil d’administration

Matin du 20 janvier 1942. Reinhard Heydrich, bras droit d’Heinrich Himmler, chef de la gestapo, reçoit quatorze cadres nazis dans une luxueuse villa de Wannsee, près de Berlin, pour débattre d’un sujet secret. Ces représentants de la Waffen SS ou du Parti, fonctionnaires ministériels et émissaires des provinces conquises, apprennent à la dernière minute qu’ils devront trouver un accord avant midi pour organiser l’extermination du peuple juif en Europe, appelé « Solution finale ». En moins de deux heures, le sort de six millions de personnes, sur 11 millions de Juifs estimés en Europe, va être scellé selon un mode opératoire industriel.

 

A l’arrivée des participants dans leurs luxueuses berlines à la conférence de Wannsee, l’on se croirait à une réception dominicale. Une seule présence féminine, une secrétaire, précieuse fonctionnaire grâce à laquelle il est possible de savoir ce qui s’est dit entre les décideurs de ce qui allait devenir la Shoah. Rassemblés autour d’une table en U, ces quinze dignitaires SS évoquent un conseil d’administration, tour que prendront d’ailleurs les échanges. Jamais les mots d’hommes, de femmes, encore moins de victimes, ne sont prononcés. Ils et elles sont réduit(e)s seulement au terme d' »unités » et à des chiffres, comme des marchandises, des poids.

 

Valeur économique

Avec La Conférence, l’on pouvait s’attendre à un film bavard, dont le lieu clos aurait plus sa place au théâtre. Il n’en est rien, tant son réalisateur Matti Geschonneck capte la lumière d’hiver et construit des cadres d’une rigueur remarquable. Un sinistre ballet vert-de-gris s’exécute quand les personnages déambulent dans les salons, alors que les champs-contrechamps classiques entre protagonistes n’entravent en rien la monstruosité des propos tenus avec un détachement mathématique. L’horreur des plans manigancés prennent d’autant plus d’ampleur, sous ce vocable froid et administratif de dignitaires consensuels qui « gèrent » un processus d’extermination engagé depuis 1940. Car c’est bien de gestion dont il s’agit, où le coût de l’opération n’est pas le dernier des aspects, réduisant la nature humaine à une valeur économique.

 

Précision, tant dans la forme que dans le sens, est le maître mot de La Conférence. Se permettant trois petites incartades hors du procès-verbal d’Eichmann, le film revêt une dimension solennelle, sa dramaturgie reposant sur l’incroyable tournure désinvolte que prennent les débats, s’agissant d’une extermination de masse, d’un génocide. Le film met à la portée de tous l’origine d’une des plus grandes catastrophes de l’histoire, sablé au Champagne, sabre au clair. Monstrueux.

 

(Jacky Bornet, FranceInfo Culture, publié le 18/04/2023)

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