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SMOKE SAUNA SISTERHOOD

Entre exotisme et confidences, un documentaire qui aborde sans faux-semblants la féminité dans tous ses états.

 

Vu de chez nous, le sauna correspond juste à une pratique de bien-être. Pourtant, en Europe de l’Est et plus particulièrement en Estonie, il s’apparente à une une expérience culturelle, revêt un caractère sacré et fait partie intégrante de la vie de ses habitants qui célèbrent ses vertus libératrices tant physiques que mentales. D’ailleurs, la tradition du sauna à fumée de Vörumaa a été inscrite dans la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’Unesco en 2013. Les premières images montrent une femme tenant dans ses bras son bébé, peau contre peau, indiquant la similitude entre le sauna et le ventre maternel, un lieu sombre et chaud où l’on se trouve aussi nu que le jour de notre naissance, un lieu d’éternelle renaissance. La transpiration chasse les couches enfouies d’impureté physiques et émotionnelles, tandis que l’obscurité fait émerger l’inconscient et régénère les âmes.

 

Entre mysticisme et entraide, des femmes de tous âges et de toutes conditions, dont on voit rarement le visage et dont on ne connaît pas l’identité, se retrouvent dans ce cocon protecteur. Alors qu’à l’aide de branches d’arbres, elles se frottent mutuellement le dos avant de courir nues dans la neige se jeter dans des mares gelées se crée une complicité favorable à la révélation d’histoires intimes de femmes universellement maltraitées par le patriarcat, de harcèlement et d’agressions. Mais ici il n’est nullement question de jugement ou d’accusation face à un système mis en place par les hommes et depuis toujours transmis par les femmes à leurs filles. Et puis, au cœur de cette communauté où l’on se met à nu se racontent avec la même spontanéité les traumatismes et les secrets inavoués, les expériences pittoresques, les espoirs et les joies.

 


La réalisatrice enchâsse ces mots aux pouvoirs libérateurs dans une mise en scène épurée qui fait la part belle aux corps nus sans le moindre voyeurisme, aux membres dénoués, aux reflets de la peau scintillante d’humidité. Le contraste entre ombre et lumière, la nature verdoyante des prés traversés et les tons plus neutres de cet espace confiné qu’est l’intérieur du sauna composent un tableau fascinant et inattendu.

 

Baigné dans des eaux apaisantes, le documentaire distille une ambiance résolument féministe mais jamais plaintive, toute entière placée sous le signe d’une solidarité revigorante.
Primé dans de nombreux festivals et récompensé du prix de la mise en scène au Festival de Sundance, il offre une expérience cinématographique inédite, dotée à la fois d’une beauté picturale rarement atteinte et d’un pouvoir de sérénité inespéré.

 

(Claudine Levanneur, Avoir à Lire, publié le 18/03/2024)

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