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LE TEMPS D’AIMER

Ce quatrième long-métrage de Katell Quillévéré est l’histoire d’un amour entre deux êtres qui portent un lourd secret, une histoire romanesque en partie inspirée par la grand-mère de la réalisatrice.

 

Après avoir adapté à l’écran Réparer les vivants, le roman de Maylis de Kerangal en 2016, la réalisatrice de Un poison violent (2010) et de Suzanne (2013), signe un quatrième long-métrage dans lequel elle met en scène une histoire d’amour singulière dans les années d’après-guerre.

 

Le secret de Madeleine (Anaïs Demoustier) est dévoilé dès les premières images du film, en noir et blanc. Archives. C’est la Libération, les soldats sont accueillis dans la liesse. Puis la joie laisse place à la brutalité. Des femmes sont tondues, bousculées, humiliées. Leur crime : avoir entretenu des relations avec des soldats allemands. Madeleine est parmi ces femmes.

 

Secrets et mensonges

On la retrouve quelques années plus tard, sur la côte bretonne, loin de son village et de sa famille, seule avec un petit garçon sans père prénommé Daniel. Elle est serveuse dans un hôtel de tourisme en Bretagne. C’est là, sur la plage, qu’elle fait la connaissance de François, un jeune homme de bonne famille pâlot et boiteux, un thésard gentil et romantique. Entre eux, le courant passe, mais un jour, François, soudain très sombre, disparaît sans explications. Quand il revient quelques semaines plus tard, il a retrouvé le sourire. Malgré le secret que Madeleine lui confie concernant la naissance de Daniel, François décide de l’épouser, et d’adopter l’enfant.

 

Plus tard, Madeleine découvre que François lui aussi a un secret qu’il s’est bien gardé de lui dévoiler. Qu’importe, pendant que le petit Daniel s’interroge sans fin sur son père biologique, qu’il refuse de le croire mort comme on essaie de lui faire avaler, François et Madeleine prennent la direction d’un sulfureux dancing à Châteauroux, où viennent s’arsouiller les soldats de la base américaine voisine.

 

« Au lieu seul où agit le secret, commence aussi la vie »

Ces mensonges et ces secrets, charriés par la honte, briseront-ils ou scelleront-ils leur amour ? C’est ce que démêle ce quatrième film de Katell Quillévéré, inspiré par la vie de sa propre grand-mère. Dans une mise en scène parfaitement orchestrée, avec une caméra souvent en mouvement, qui suit les personnages de très près, la réalisatrice offre un film d’une grande intensité. Une tension renforcée par l’interprétation d’Anaïs Demoustier, de Vincent Lacoste et des enfants, tous totalement habités par leurs personnages.

 

Très dense, presque trop tant il est nourri de thèmes complexes, le film explore le temps qui passe – près de vingt ans – sur cette histoire d’amour singulière, nouée entre deux êtres hors les clous. Katell Quillévéré n’hésite pas à éclairer de manière radicale les désirs et tourments qui hantent les protagonistes dans des scènes de sexe sans tabous, et sans ellipses. La cinéaste explore avec subtilité toutes ces formes d’amours empêchées, et l’esprit de résistance qui permet à des êtres exceptionnels de les faire s’épanouir, envers et contre tout.

 

À travers le destin de cette drôle de famille, en avance sur son temps, le film dresse la peinture de la France d’après-guerre jusqu’aux années soixante, encore bien sanglée dans le carcan des conventions sociales. La réalisatrice parvient à articuler et à creuser toutes ces problématiques dans une narration tendue, mais limpide, dans laquelle se déploie cette idée empruntée à Stefan Zweig par le personnage de François qu’« au lieu seul où agit le secret, commence aussi la vie ».

(Laurence Houot, FranceInfo Culture, publié le 26/11/2023)

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