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L’ÎLE ROUGE

Robin Campillo revient avec un film inspiré par son enfance, dans l’atmosphère postcoloniale en apparence légère de l’île de Madagascar.

 

Six ans après 120 battements par minute (Grand Prix à Cannes en 2017), qui narrait le quotidien des militants d’Act Up-Paris pendant les années noires du sida, Robin Campillo raconte dans son nouveau film L’île rouge les derniers mois de la présence militaire française à Madagascar, quelques années après l’indépendance, à travers le regard d’un enfant rêveur et curieux, fan de Fantômette. Ce film d’atmosphère et de sensations, peint à la manière des impressionnistes les dernières scories du colonialisme à la française.

 

Début des années 70, Madagascar. Thomas (Charlie Vauzelle), huit ans, observe secrètement les adultes qui préparent un déjeuner de bienvenue pour Bernard (Hugues Delamarlière) et Odile (Luna Carpiaux), un couple fraîchement débarqué sur l’île. Le père de Thomas, Robert Lopez (Quim Guierrez), est militaire sur la base 181 d’Ivato, où il vit avec sa femme Colette (Nadia Tereszkiewicz) et ses trois fils. L’île est devenue indépendante douze ans plus tôt, mais l’armée française n’a toujours pas quitté les lieux.

 

« Vous venez d’atterrir sur le plus bel endroit au monde, le lieu de tous les plaisirs. Vous allez être comme dans un cocon familial, plein d’amour et de bienveillance.” Voilà comment est présentée l’île aux nouveaux arrivants, mais depuis ses postes d’observation, Thomas découvre peu à peu une autre réalité.

 

Une île dans l’île

L’enfant observe, ne comprend pas tout mais découvre à travers ses ressentis l’âpreté et la brutalité du monde des adultes, la complexité des sentiments, la peur, le désir, la jalousie, le désamour.

 

À travers son regard candide et innocent, se dévoile également la réalité d’une présence française teintée d’un colonialisme persistant. Presque inexistantes au début du film, les populations locales apparaissent d’abord furtivement, comme des ombres au service de ces expatriés français qui semblent vivre sur une île dans l’île, où les habitants ont été gommés du paysage.

 

Puis peu à peu les Malgaches et leur histoire se font jour, d’abord avec l’apparition de Miangaly (Amely Rakotoarimalala), la nouvelle amoureuse de Bernard, le jeune militaire fraîchement arrivé, et dont la relation fait scandale. Puis avec l’irruption des prostituées en colère sur la base militaire, ou dans les discours et les chants des résistants dans une manifestation, en filigrane les séquelles de la révolte de 1947 et sa répression sanglante par l’armée française.

 

La caméra capte les perceptions de l’enfant, avec des images très proches, ou au contraire lointaines, et avec focus sur certains sons, comme le crissement des graviers qui fascinent tant Thomas à l’entrée du mess des officiers. Certaines séquences, ralenties, figent l’action comme une sensation à l’œuvre, ou un souvenir en suspens.

 

Ce dispositif très organique, très sensoriel, est entrelacé de séquences oniriques qui mettent en scène Fantômette, l’héroïne de Thomas, sous la forme de personnages masqués jouant la comédie dans des décors stylisés comme des cases de bande dessinée, faisant écho de loin à la réalité observée par le petit garçon.

 

 

« Anomalie »

En forme de chronique familiale aux apparences légères, L’île rouge commence comme une carte postale familiale idyllique, et s’achève dans les claques et la révolte. « Je ne veux pas de souvenirs. Je veux tout oublier », dit Thomas qui refuse d’apparaître sur la dernière photo de famille sur l’île. « J’aurais préféré qu’on vienne jamais ici ».

 

Des lumières et des ambiances teintées de nostalgie, des dialogues un peu forcés aux sonorités désuètes, appuient cette idée d’un monde artificiel qui cherche à perdurer envers et contre la marche de l’histoire.

 

« Même si j’avais de la nostalgie pour ce paradis perdu, je sentais que nous avions été une anomalie dans ce pays » se souvient Robin Campillo. Le réalisateur qui s’est inspiré de sa propre enfance pour écrire ce nouveau film, qui raconte avec subtilité la fin des illusions, celles de Thomas, qui quitte peu à peu l’enfance, et dont le départ de Madagascar se confond avec la décomposition de la famille, mais aussi celles des expatriés, forcés de quitter un « paradis » qui ne leur appartient pas, mais dont ils ont longtemps joui sans scrupule.

 

(Laurence Houot, FranceInfo Culture, publié le 30/05/2023)

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