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HERE – LES PLUS BELLES ANNÉES DE NOTRE VIE
Robert Zemeckis s’est entouré de l’équipe de “Forrest Gump” pour raconter l’histoire d’une famille, de trois générations, d’une maison et du temps qui passe. Un objet cinématographique qui n’est pas seulement un pari osé, mais également une ode au septième art et à sa magie.
Après deux films en demi-teinte, ouvertement destinés aux enfants (Sacrées sorcières, Pinocchio en 2020 et 2022) ; après une décennie 2010 décevante (Flight, The Walk, Alliés), d’où ne se détachait que le très étrange Bienvenue à Marwen ; après des années 2000 consacrées à essuyer les plâtres de la performance capture, pour n’en tirer qu’une grande œuvre expérimentale (Le Drôle de Noël de Scrooge) et deux semi-purges (La légende de Beowulf et Le Pôle Express), on pensait avoir définitivement perdu Robert Zemeckis.
Or Here est une divine surprise, un film hautement personnel et infiniment original, adapté d’un roman graphique arty (de Richard McGuire), dont on peine à croire qu’un studio ait accepté de le financer – en l’occurrence Sony pour une cinquantaine de millions de dollars –, dans un contexte aussi peu propice aux expériences singulières. Le pari est osé : il s’agit de raconter une vie, quatre vies, vingt vies, une ville, un pays, un continent… sans jamais (ou presque) bouger sa caméra, pendant 1h45.
Retour vers le présent ?
Bien sûr, Robert Zemeckis n’est pas devenu Chantal Akerman, Michael Snow ou James Benning. Here reste un film commercial, qui ne déroge pas à un certain classicisme narratif et émotionnel – même si ce “certain” contient beaucoup de nuances –, et dont l’argument nostalgique consiste à réunir, trente ans plus tard, l’équipe de Forrest Gump : Eric Roth au scénario, Tom Hanks et Robin Wright en couple star. Le film s’aventure toutefois dans des landes conceptuelles que l’on croyait Hollywood incapable d’arpenter désormais : la simple observation d’un lieu unique (l’ “ici” du titre) en plan fixe, de la préhistoire à nos jours. Simple ? Pas tout à fait.
Si le dispositif paraît élémentaire, son déroulé l’est moins, Zemeckis traitant son plan comme un palimpseste où une infinité de couches temporelles peuvent ressurgir à tout moment, comme autant de bulles du passé ou de flocons du futur prêts à recouvrir simultanément la surface d’un présent perpétuel. Here aurait ainsi pu s’appeler Retour vers le présent, car c’est bien là sa grande affaire : en quoi le temps est une illusion, toute chose étant toujours déjà et toujours encore là ?
La magie du cinéma
Cette question philosophique des plus universelles et éternelles, le cinéaste l’aborde comme il l’a toujours fait : à plat, par le prisme de ce bon vieux “rêve américain” – dont il fait ici l’élégie à la veille de sa possible disparition. S’il convoque des dinosaures, des indigènes et des colons, Zemeckis se concentre en réalité sur l’histoire d’une famille qui, sur trois générations, occupe une maison. Une maison dont nous voyons toujours, nous spectateur·ices, le même angle. Une maison banale, où vivent des gens banals, à qui, il n’arrive rien que de très banal…