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EMMANUELLE
Cette nouvelle version sans fauteuil en rotin offre un regard sur le désir féminin à contre-pied du film qui avait émoustillé toute une génération dans les années 1970.
Pile cinquante ans après la première adaptation d’Emmanuelle signée Just Jaeckin en 1974, avec Sylvia Kristel dans le rôle-titre du roman d’Emmanuelle Arsan, publié en 1959, la réalisatrice Audrey Diwan s’empare de ce texte pour en faire une version à contre-pied. […]
Emmanuelle se rend à Hong Kong pour évaluer la patronne d’un des hôtels de luxe du groupe pour lequel elle travaille. À peine montée dans l’avion, la jeune femme transforme ce voyage professionnel en expérimentation érotique, avec une première aventure (manifestement pas particulièrement satisfaisante) dans les toilettes de la classe affaires. Dans l’avion, elle croise le regard de Kei, qu’elle retrouvera plus tard dans les couloirs de l’hôtel.
Dans ce lieu en apparence déconnecté de la réalité, Emmanuelle déambule comme une vestale au regard triste, observe, inspecte et prend des notes pour son rapport sur cet établissement de luxe dans lequel se côtoient le plus délicat raffinement et la brutalité des arrière-salles, où la prostitution « interdite, mais tolérée » se monnaye en toute discrétion au bord de la piscine.
Si Emmanuelle entame une aventure érotique avec Zelda, l’une des jeunes femmes qui vendent leur corps aux riches clients de l’hôtel, elle est de plus en plus obsédée par l’insaisissable Kei…
Le corps des femmes
Après avoir adapté L’Événement d’Annie Ernaux, Lion d’or à la Mostra de Venise en 2021, la réalisatrice poursuit son travail sur le corps des femmes en s’attaquant à un personnage iconique du cinéma érotique, qu’elle traite en total contre-pied, en revisitant la grammaire du genre.
Le film s’ouvre sur une première scène qui donne à voir un scénario éculé, que la réalisatrice revisite en la faisant subrepticement basculer de la sensualité à la brutalité, à travers la bande-son et l’expression dévitalisée du visage de la jeune femme pendant que l’homme la cogne contre le lavabo.
Qu’est-ce que le désir, qu’est-ce qui suscite réellement l’excitation ? Quels sont les rapports de force dans les jeux érotiques ? Ce sont toutes ces questions qu’Audrey Diwan explore dans ce film hypnotique jusqu’à l’ennui.
Il faudra l’attente pour faire advenir le désir, et aussi qu’Emmanuelle s’échappe de la bulle étouffante de son hôtel de luxe, et plus largement qu’elle sorte du cadre de sa vie, pour aller se frotter, dans les pas de Kei, à l’air des rues de Hong Kong, à l’ambiance de ses bars et de ses arrière-salles. Bref, à la vraie vie loin de l’atmosphère mortifère de ce grand hôtel international, pour ressentir son propre désir et jouir pleinement de son corps, hors de scénarios pré-écrits.
Rapports de force
Cette nouvelle version s’oppose à celle de 1974 également dans le regard critique porté sur les rapports de classe, particulièrement violents dans le contexte de cet hôtel de luxe. Des rapports de force et de domination qui dans les jeux érotiques peuvent aussi devenir un moteur érotique puissant.
Audrey Diwan filme le corps et le désir féminin de très près, dans une représentation intériorisée de son personnage, avec des très gros plans, des images floues, et surtout un son extrêmement travaillé et juste, pensé comme un instrument majeur de la narration.
La réalisatrice de L’Événement se réapproprie un genre qui n’a pas pour habitude de véhiculer une image très valorisée de la femme, pour en faire un film féministe et politique, dans lequel elle offre une réflexion libre sur l’érotisme, purgé des clichés du genre, et n’élude pas la question les rapports de domination. Dans ce travail d’inversion, Noémie Merlant joue astucieusement des codes du genre pour mieux en renverser le message.